Professeur d'histoire contemporaine à l'université de Versailles-Saint-Quentin, Christian Delporte est un observateur attentif de la vie politique. Directeur du Temps des médias, il a notamment publié la Communication politique. L'art de séduire pour convaincre (Le Lombard, 2017) et Come back ou l'art de revenir en politique (Flammarion, 2014). A l'heure où François de Rugy, fragilisé après les révélations de Mediapart, est rentré d'urgence d'un déplacement dans les Deux-Sèvres pour se rendre à Matignon ce jeudi, Christian Delporte juge avec sévérité les faits en cause comme la première réaction de l'exécutif.
Que vous inspire l’affaire ou plutôt les affaires dans lesquelles François de Rugy est mis en cause par Mediapart mais, pour l’instant en tout cas, pas par la justice? La photo des homards a marqué les esprits…
En découvrant ces histoires de dîner et de travaux dans son appartement de fonction, je me suis dit que décidément ce pouvoir n’avait rien retenu alors qu’il a déjà été ébranlé par des affaires. C’est d’autant plus sidérant que l’un des thèmes de Macron, c’était précisément la République exemplaire et que le député Rugy était en pointe sur ces questions. Ils n’ont rien retenu du sentiment général des Français: tous les ans, l’enquête du Cevipof est de plus en plus désastreuse et ce nouveau feuilleton ne va rien n’arranger. Il faut quand même avoir à l’esprit que seuls 9% des Français font confiance à leurs représentants politiques, 9%! Dans l’étude de l’an dernier, le terme qui remontait le plus à la surface, c’était celui du dégoût à l’égard du monde politique. Et chacun voit bien en quoi les photos de ces agapes luxueuses sont d’autant plus dévastatrices après la crise des gilets jaunes.
Nouveau monde et vieilles pratiques?
Visiblement oui. Et c’est d’autant plus dommageable que dans la promesse Macron il y avait l’idée d’une rupture non seulement avec la vieille classe politique mais surtout avec ses pires mœurs et ses privilèges. C’était le credo d’une renaissance vertueuse. Le quinquennat s’est d’ailleurs ouvert une nouvelle loi de moralisation de la vie politique qu’a portée l’éphémère Garde des Sceaux François Bayrou, qui a lui-même dû quitter le gouvernement à la faveur d’un remaniement alors qu’il est mis en cause dans l’affaire des assistants parlementaires européens du Modem.
Une fois de plus c’est la question de la morale et de l’exemplarité dans l’usage des fonds publics qui est posée dans notre monarchie républicaine. Dans des registres différents faites-vous un lien avec le cireur de chaussures d’Aquilino Morelle, les cigares de Christian Blanc ou les costumes de François Fillon ?
D'une certaine manière, c'est pire. Il ne s'agit pas ici de corruption ou de détournement de fonds mais d'un possible abus de pouvoir: on utilise l'argent du contribuable pour son bien-être personnel et celui de proches. Dans une logique de jouissance, soit exactement ce dont les Français ne veulent plus: plus des trois quarts considèrent que les politiques agissent d'abord dans leur intérêt personnel.
Comment jugez-vous la communication de l’exécutif ? La porte-parole du gouvernement a affirmé mercredi que le Président et le Premier ministre maintenaient «bien évidemment» leur confiance à Rugy, mais chez les députés LREM le malaise est palpable…
Le premier réflexe des politiques est toujours corporatiste ou clanique. Franchement, pourquoi Macron s’est-il précipité mercredi pour faire savoir qu’il maintenait sa confiance à son ministre ? Quelle était l’urgence de ne pas attendre avec prudence d’en savoir plus ?
N’y a-t-il pas la tentation d’expliquer que Rugy est le vilain petit canard qui aurait pété les plombs dans son coin, en zappant le fait qu’un Emmanuel Macron, par exemple, recevait lui aussi pour des dîners à Bercy des personnalités assez éloignées des interlocuteurs habituels d’un ministre de l’Economie ?
Si ce genre de dîner existe depuis longtemps, et n’est pas l’apanage du seul couple Rugy, la différence aujourd’hui, c’est que la presse fait son travail en le racontant et que la société ne l’accepte plus. Encore une fois, ils n’ont rien compris des ressorts du dégagisme à l’égard des politiques. Maintenant, Emmanuel Macron n’est pas à l’abri de prendre conscience des dégâts et d’en tirer les conséquences en démissionnant Rugy ce jeudi soir. Si dans l’affaire Benalla, le pouvoir a considéré qu’il fallait le soutenir pour protéger le Président, cette fois, la meilleure chose à faire pour Macron est de limiter les frais sans tarder.