Menu
Libération
Chez Pol

Michèle Delaunay : «J’ai été séduite et trahie par Macron en un temps record»

Michèle Delaunay, en 2014. (Photo Bruno Charoy)
publié le 15 septembre 2019 à 16h29

Ils ont connu le monde politique avant l’élection d’Emmanuel Macron et l’arrivée massive de «marcheurs» à l’Assemblée. Ils le racontent et le comparent au «nouveau monde». Aujourd’hui, l’ancienne ministre de François Hollande déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie et ex-députée PS de Gironde Michèle Delaunay.

Vous n’êtes plus députée depuis plus de deux ans. La politique nationale vous manque ?

Députée, c’est un mandat qui m’a beaucoup plu et qui ne s’est pas terminé comme je l’espérais. Je voulais faire trois mandats et on n’aime jamais être battu. J’ai su assez vite que je ne ferais pas de troisième mandat, entre un candidat de Juppé et un candidat LREM. Juppé avait en plus demandé – pas officiellement – qu’il y ait des candidats LREM dans les douze circonscriptions de Gironde pour se débarrasser des 11 députés de gauche. Mais il s’est aussi débarrassé des siens. Le fait que nous soyons de nombreux socialistes à perdre m’a enlevé le caractère personnel de ma défaite. Mais ça reste très désagréable.

Qu’est-ce qui vous manque le plus de vos deux ans au gouvernement ?

La fin de mon passage au gouvernement reste ma plus grande blessure. Il était prévu un deuxième acte sur la dépendance. J’étais soutenue par Jean-Marc Ayrault. Ça aurait pu être le totem social de Hollande. Et le remaniement a eu lieu le jour où je devais présenter ma loi en Conseil des ministres. Je n’ai fait que la moitié du boulot. La priorité de Hollande était la jeunesse et il a été imperméable au sujet des vieux. Lui soutenait que, quand on travaille pour la jeunesse, les grands-parents sont contents.

Quel est votre pire souvenir politique ?

Quand on est remanié.

Vous avez souffert de sexisme durant votre carrière politique ?

Je n’ai jamais été confrontée à du sexisme graveleux mais un sexisme certain, de fond. Quand vous êtes une femme, on vous donne moins la parole, on vous la coupe plus souvent. Vous êtes aussi moins invitée dans les médias. C’est le pire : l’accès à la parole et la détention de la parole. On vous respecte aussi moins. Quand je vois la dévotion formidable que Frédéric Cuvillier ou Alain Vidalies ont dans leurs territoires en tant qu’anciens ministres… Je n’ai pas le même respect. C’est un sexisme qui ne s’exprime pas mais qui est très réel.

Y a-t-il une anecdote que vous n’avez jamais racontée sur votre passage au gouvernement ?

Sur mes sujets, j’ai eu un rendez-vous avec Emmanuel Macron [alors secrétaire général adjoint à l’Elysée]. Il a été formidable pendant deux heures. Il m’a écoutée et semblait convaincu. Je croyais que c’était dans la poche. Et absolument rien ne s’est passé. Quinze minutes plus tard, ce n’était plus son sujet. J’ai été séduite et trahie par Macron en un temps record.

Avec quel adversaire politique vous entendiez-vous le mieux ?

A Paris, on s’est bagarrés mais ce n’était pas vraiment des adversaires, à part les élus corses car je voulais augmenter le prix du tabac sur l’île. Mon seul vrai adversaire, ça a été Juppé. Il m’a traitée avec distance, m’a humiliée en conseils municipaux. Je le regrette beaucoup. Sinon, je n’ai pas d’ennemis politiques, j’ai fait des campagnes correctes et on me l’a rendu. La députée LREM qui m’a battue, Catherine Fabre, est correcte. On a de bonnes relations, elle est d’un bon niveau. Ce n’est pas le cas de tous. Il y a quelques cornichons.

Que pensez-vous des députés du «nouveau monde» ?

Ils ont voulu être des députés nationaux, pas là pour être des assistantes sociales. Une fois encore, ils en reviennent tous. L’ancien monde avait compris qu’il ne pouvait pas être hors sol. Pendant les deux premières années du quinquennat, il n’y a pas eu de débat politique. L’actualité politique s’est terriblement appauvrie. Ça reprend un peu avec l’approche de nouvelles élections.

Qui sort du lot selon vous ?

J’apprécie beaucoup Agnès Buzyn, une vraie engagée sur la santé publique. Elle avale beaucoup de couleuvres, c’est normal, mais a une conviction forte et une bonne représentation de son sujet. Il y en a beaucoup qui ne m’inspirent pas de sympathie. Muriel Pénicaud, je ne la sens pas.

La politique, c’était mieux ou moins bien avant ?

C’est une situation évolutive, très différente d’il y a deux ans. Les fondamentaux restent les mêmes. Il faut faire de la politique avec un métier de repli. C’est toujours très séduisant, la politique. J’y ai été très heureuse et je ne peux pas le déconseiller aux autres. Mais il ne faut pas dépendre de la politique pour le faire le mieux possible.