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Libération
La lettre politique

Vade retro Greta !

Greta Thunberg à l'ONU, lundi. (SPENCER PLATT/Photo Spencer Platt. AFP)
publié le 24 septembre 2019 à 15h39
(mis à jour le 24 septembre 2019 à 17h22)

Ce qu'il y a d'amusant chez cette jeune Greta Thunberg, c'est qu'elle a l'art de faire sortir les réacs de leur trou comme des souris attirées par un morceau de fromage, ce talent de les énerver comme le taurillon devant la muleta. Deux exemples parmi tant d'autres. Luc Ferry : «Nous sommes en train de tomber dans une société de jeunisme délirant et ça n'est pas la solution. C'est aux adultes de sauver le monde qui vient, pas aux enfants.» Alain Finkielkraut : «Je trouve lamentable que des adultes s'inclinent aujourd'hui devant une enfant. Je crois que l'écologie mérite mieux, et il est clair qu'une enfant de 16 ans, quel que soit le symptôme dont elle souffre, est évidemment malléable et influençable.»

L'argument de la jeunesse excessive est étrange. Corneille faisant parler Rodrigue : «Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années.» Toutes proportions gardées, Jeanne d'Arc était à peine plus âgée que Greta Thunberg, et Gavroche nettement plus jeune. Faudrait-il les jeter à bas de leur piédestal pour les renvoyer symboliquement à l'école ? Les mêmes procureurs, d'ailleurs, se lamentent régulièrement devant une jeunesse à leurs yeux décervelée, qui passerait son temps devant des jeux vidéo. Si des lycéens et des lycéennes prennent à cœur l'avenir de la planète et jouent un rôle civique, les contempteurs de la génération internet devraient s'en féliciter.

D’autant que ces jeunes seront par définition en première ligne si la lutte contre le réchauffement échoue. Ils défendent aussi leur avenir : qui peut le leur reprocher ? Pour les conservateurs, le symbole Greta Thunberg est un dérivatif : faute de pouvoir nier l’urgence écologique, on attaque sa porte-parole. On n’aime pas le message mais on n’ose pas le dire : on s’en prend à la messagère.

Emmanuel Macron, dans une confidence, s'est laissé aller à des réflexions du même tonneau. «Qu'ils aillent manifester en Pologne», a-t-il dit au Parisien dans l'avion de New York, en référence au refus des décisions européennes sur le climat exprimé par le gouvernement de Varsovie. Riche idée, en vérité, qui pourrait s'appliquer à d'autres protestations. Ainsi les gilets jaunes mécontents de l'augmentation du prix des carburants pourraient aller manifester en Arabie Saoudite, les agriculteurs menacés par les importations de viande défiler en Nouvelle-Zélande. Voilà qui permettrait au gouvernement de dormir sur ses deux oreilles.

Au vrai, le blocage des actions européennes par les pays de l’Est est très critiquable et Macron n’a pas tort de le rappeler. Il faut aussi reconnaître que le Président s’agite beaucoup dans les arènes internationales pour que les grands pays passent aux actes en matière climatique, ce qu’on ne saurait lui reprocher. La France consent des efforts méritoires pour améliorer les choses. Mais c’est un fait, aussi, qu’elle ne respecte pas les objectifs de réduction des émissions qu’elle a elle-même fixés. Il y a en cette matière un impératif des cohérences : si les mesures qu’on prend chez soi sont insuffisantes, on est moins bien placé pour faire la leçon aux autres.

P.S. Une erreur regrettable s'est glissée dans la Lettre politique d'hier, l'étude de Cairn.info n'est pas la bonne. Il fallait se référer au texte suivant : «Homoparentalité et développement de l'enfant : bilan de trente ans de publications».