«Il y a un abruti par jour qui dit qu'il veut être maire de Paris.» La phrase, prononcée par Benjamin Griveaux, orne le compte Twitter «Team abrutis». Créé en février 2019, il commente l'actualité de la campagne parisienne avec ironie voire virulence. A ce moment-là, Rachida Dati et David Belliard n'ont pas encore été investis par leur parti et Anne Hidalgo est loin d'avoir annoncé sa candidature à sa réélection. La séquence est aux déclarations des ambitions marcheuses : Benjamin Griveaux, Cédric Villani, Mounir Mahjoubi, Hugues Renson, Julien Bargeton et Anne Lebreton veulent alors se lancer dans la compétition.
Depuis, le compte parodique raille les propos et propositions des candidats. Tout le monde en prend pour son grade, de Gaspard Gantzer à David Belliard en passant par Anne Hidalgo. Hugues Renson, le député LREM qui s’est présenté à l’investiture de son parti avant de rejoindre Villani, fait aussi partie des cibles favorites.
Ooohhhh meeeerrrrrde le jingle du candidat de @gaspardgantzer dans le 11e... la genance est totale 😂😂😂😂 Avec le petit orgue bontempi qui rappelle la bonne époque de Charlie Oleg et les paroles qui sont un hommage à peine dissimulé à « heureusement qu’il y a Findus » pic.twitter.com/ZTGLYAGohs
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) February 17, 2020
📢 Grand destockage 📢 -20, -30, -40% 💰💰💰 Le coin des bonnes affaires, c’est avec @gaspardgantzer ! pic.twitter.com/SqeL42Alaj
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) February 13, 2020
🛑 Nouveau coup de tonnerre dans la course à la Mairie de Paris. Cette fois, c’est le candidat écologiste @David_Belliard qui est rattrapé par une vidéo de grand concombre 😱😱😱 Ces images sont choquantes 😱😱😱 pic.twitter.com/ReUZyyR61Q
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) February 16, 2020
🛑⚠️🛑⚠️ ALERTE INFO EXCLUSIVE LREM 🛑⚠️🛑⚠️ Non rien en fait... https://t.co/4U8JedRvIG
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) February 16, 2020
😱😱😱 @egregoire. Ça va être rigolo ce troisième tour 😂😂🤣 (Source : @lemonde_M ) pic.twitter.com/qoija8xwaJ
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) February 7, 2020
Geoffroy Boulard devant des poubelles... what else 😍🤣 pic.twitter.com/9Fqdsmtsut
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) February 4, 2020
Mais un candidat est particulièrement visé : en remontant le fil du compte, on s’aperçoit très vite que Benjamin Griveaux concentre l’attention. Dès qu’il fait une déclaration, médiatise un déplacement, annonce une mesure, Team abrutis réagit. Certaines journées, pas moins d’une dizaine de tweets moquent le candidat, parfois avec véhémence.
Affirmer que « la ville n’a pas été gérée sérieusement » et proposer de filer un chèque cadeau bonus de 100 000 euros aux personnes souhaitant acheter des apparts. 🤪🤪🤪 Non non... rien... 🤪🤪🤪 pic.twitter.com/DHkj8OSU6n
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) February 2, 2020
Apparemment Griveaux a aussi changé d’avis sur les rythmes scolaires et la semaine de 4 jours à l’école #Girouette D’ici au premier tour y’a moyen qu’il change encore 10 fois d’avis 😂😂🤣 pic.twitter.com/CkTBMy1ZYY
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) January 25, 2020
Il y a encore des gens qui écoutent ce que raconte Griveaux ? On en est à combien de revirements sur la Police Municipale ? 👮♀️🤣🤣🤣🤣 pic.twitter.com/PeyMti0zCi
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) January 23, 2020
En moins de 24h, @BGriveaux est donc passé de candidat LREM à candidat plus LREM à candidat à nouveau LREM. 🤣🤣🤣 Le gars ne sait plus où il habite #girouette pic.twitter.com/6udH23ePza
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) January 2, 2020
Non contente de faire la campagne la plus nulle de l’histoire de Paris, l’équipe de Griveaux vous propose désormais de faire subir à vos amis le PIRE réveillon de tous les temps avec des éléments de langage prêts à réciter ! 🤣🤣🤣 Qui veut passer le 31 avec un macroniste ? 🎉🥳 pic.twitter.com/X2yqRUk1GI
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) December 31, 2019
Le gestionnaire du compte, visiblement amusé par les détournements de photos, s’en est par exemple donné à cœur joie lors de la publication des clichés d’une séance photo de l’ex-porte-parole du gouvernement.
Prémonition pour le second tour 😂😂😂 #cnotrebenjamin pic.twitter.com/oxFSQY3fWr
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) February 10, 2020
Tout le week-end, alors que la macronie se cherchait un remplaçant après le retrait de Benjamin Griveaux, Team abrutis a fait enfler la rumeur Sylvain Maillard, suggérant, sans fondement, que le député allait prendre la suite.
May I introduce you... the next mayor of Paaaaarrriiiiiiiiissssssss 🤪🤪🤪 https://t.co/PueiHPZHKa
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) February 15, 2020
Depuis l'annonce de la candidature d'Agnès Buzyn, il se concentre sur l'ex-ministre de la Santé. «Whaaat ? Encore un remake d'une vieille série des années 80 ?» écrit par exemple le compte en sous-titre d'une photo de campagne de la nouvelle candidate.
Whaaat ? Encore un remake d’une veille série des années 80 ? pic.twitter.com/X5GQnW3tWH
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) February 18, 2020
De faux échanges entre Buzyn et ses équipes sont également publiés pour moquer sa supposée méconnaissance des dossiers parisiens.
Nouveau leak des conversations privées de @agnesbuzyn avec son équipe de campagne #AvecZynzyn pic.twitter.com/k8hkQBRRhQ
— Team Abrutis. (@TeamAbrutis) February 18, 2020
Philippe Mouricou, qui se présente comme «professeur de stratégie» et dirige la communication de Cédric Villani, est derrière ce compte. Dans un échange auquel nous avons eu accès, une personne lui signale une déclaration de Benjamin Griveaux, l’invitant à s’en saisir sur le compte «non officiel» des villanistes. Philippe Mouricou acquiesce. Un instant plus tard, le contenu est mis en ligne et le communicant se félicite des reprises.
«C’est virulent mais parodique»
Interrogé par Libé, il reconnaît «faire partie des gens qui l'animent». Cinq ou six personnes qui, selon lui, ne sont pas toutes dans l'équipe du candidat. «C'est virulent mais parodique, c'est là pour faire marrer, on n'a pas vu ça comme un outil de campagne», soutient-il.
L'homme, qui travaille bénévolement pour Cédric Villani, n'est jamais sur le devant de la scène. Il ne gravite pas dans le noyau de La République en marche mais est proche d'un marcheur : Mounir Mahjoubi. Au moment du lancement du compte Twitter, il était d'ailleurs directeur de campagne de l'ex-secrétaire d'Etat. Dans un portrait qui lui était consacré en avril, pendant la campagne pour l'investiture, Society racontait : «Toute la semaine, il échange avec Philippe Mouricou, enseignant chercheur en stratégie qu'il connaît depuis bientôt vingt ans.»
«Au départ, c'était juste un compte de veille qu'on utilisait avec Mounir Mahjoubi, raconte Mouricou. On l'a renommé en juillet, au moment où sont sortis les enregistrements. Mounir Mahjoubi n'était pas impliqué.» Révélés par le Point, ils marquent la campagne, en tendant les relations entre les marcheurs parisiens. On y entend Benjamin Griveaux insulter ses concurrents : «Il y a un abruti chaque jour qui dit qu'il veut être maire de Paris.» Ou encore : «Contrairement à ce que racontent tous les abrutis depuis vingt ans, Paris ne se gagne pas à gauche, mais ça se gagne au centre.»
Echec du rapprochement
«Au moment de la scission après la décision de la commission nationale d'investiture, des militants qui ne se retrouvaient pas chez Griveaux ont organisé des "apéros abrutis". Team abrutis vient de là», poursuit le communicant. Peu de temps avant, Mahjoubi a renoncé à la candidature et rallié Villani. Mouricou le suit. «On était déjà en contact avec le camp Villani quand j'étais chez Mounir. J'ai rencontré leur directeur de campagne, on s'est très bien entendu et il m'a proposé de rejoindre la campagne.»
Un mois plus tard, Mahjoubi change d'avis et rejoint Griveaux. Mouricou, lui, reste. «Philippe s'occupe du côté numérique et de la stratégie de communication de Cédric avec le directeur de campagne et les porte-parole», explique un membre de la campagne Villani. Il gère notamment, avec la responsable presse, les réseaux sociaux du mathématicien.
Depuis que les relations se sont tendues entre Griveaux et Villani, le camp de l'ex-candidat officiel accuse celui du dissident d'avoir une grande part de responsabilité. «L'entourage de Villani n'aide pas à la réconciliation. Ce n'est pas un sale mec mais il n'est pas entouré de gens bien», nous assurait Benjamin Griveaux en janvier. A la même période, avant l'exclusion de Cédric Villani une marcheuse de la campagne officielle racontait : «Dès que je parle d'alliance, je vois les rafales de ses porte-parole arriver. Ils ne sont pas dans un esprit de rassemblement.» Une façon, aussi, de porter la responsabilité de l'échec du rapprochement. Encore aujourd'hui, avec la candidature d'Agnès Buzyn, les deux camps se renvoient la balle. «On les obsède, relativisait un cadre de la campagne Villani. C'est une bataille psychologique.»