L'engouement est tel qu'il faut désormais faire attention aux contrefaçons. A l'heure où se multiplient les listes «citoyennes» pour le scrutin des 15 et 22 mars, même l'extrême droite, à la culture pourtant centralisatrice, se drape dans les oripeaux de la démocratie participative, comme à Beauvais, et d'autres candidatures dites «libres» dissimulent en réalité un soutien de La République en marche. «Il y a toujours eu des listes "citoyennes" dans les petites communes. La nouveauté cette année, c'est la présence dans les grandes villes de listes mixtes, moitié société civile, moitié partis politiques. Il y en a beaucoup cette fois-ci, dont quelques-unes qui ont de réelles chances de victoire au second tour», estime Raul Magni-Berton, professeur à Sciences-Po Grenoble. Il est l'un des porteurs du projet de «Participomètre», une grille d'analyse qui va décortiquer jusqu'au premier tour, le 15 mars, les programmes pour évaluer leur compatibilité avec les critères de la démocratie participative.
Parmi ces listes plus ou moins mixtes dans les grandes villes, on trouve celle de l'Archipel citoyen à Toulouse, soutenue par EE-LV et les insoumis, celle d'Eric Piolle à Grenoble ou encore Strasbourg écolo et citoyenne, impulsée par les Verts. «L'idée, c'était de sortir de la logique d'appareil, de sortir des cadres établis et d'avoir une démarche qui soit la plus ouverte possible, tout en rassemblant des personnes qui ne se seraient pas reconnues dans des démarches partisanes», explique Jeanne Barseghian, tête de liste à Strasbourg et encartée à EE-LV. «Sur 67 places, il y a une quinzaine de membres d'EE-LV, quelques communistes, trois personnes de Place publique, certains qui sont passés par Génération.s.... Le reste – 60 % de la liste – ce sont des personnes qui ne sont affiliées à aucune formation et qui s'engagent en politique pour la première fois», calcule la juriste de 39 ans. Dans les deux sondages publiés à Strasbourg, sa liste partage la première place avec le candidat macroniste Alain Fontanel. Pour espérer une victoire au second tour, il faudra donc peut-être passer un accord avec la liste socialiste finalement menée par l'ancienne maire Catherine Trautmann, revenue in extremis sauver un PS en pleine débandade. Le cas échéant, les discussions sur la fusion entre discours «citoyen» et monde des éléphants socialistes ne devraient pas être ennuyeuses.
«Vraies ambitions politiques»
Plus d'une centaine de listes participatives ont répondu ces dernières semaines à un questionnaire concocté par Guillaume Gourgues, maître de conférences en sciences politiques à Lyon-II et chercheur au laboratoire Triangle, pour le compte d'Action commune, une association qui accompagne et met en relation plus de 250 listes citoyennes dans toute la France. Parmi les résultats de cette photographie instantanée : 59 % des listes estiment «avoir des chances de l'emporter au second tour», et 64 % se positionnent «très nettement à gauche». «C'est bien la preuve que ces listes prennent au sérieux l'enjeu électoral et ont de vraies ambitions politiques, commente le chercheur. L'échantillon est certes mince, mais il indique néanmoins que ces listes ne sont pas dans une logique municipaliste révolutionnaire. C'est plutôt qu'il y a des élections et qu'on veut les gagner… C'est un phénomène qui devrait interpeller la gauche, qui a une absence totale de discours sur le local depuis des années.»
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«Il y a clairement un effet de mode "citoyen" pour ces élections», remarque Thomas Simon, coordinateur d'Action commune. Mais «nous préférons parler de listes participatives», corrige-t-il d'emblée, écartant les listes qui sont à l'initiative de partis politiques. «De toute façon, on voit tout de suite lorsqu'on discute avec les membres d'une liste s'il y a un véritable ancrage dans les mouvements sociaux ou s'il s'agit de "democracy washing". Il y a tout un spectre, depuis les listes qui veulent instiller un peu de participalisme jusqu'à celles qui sont plus radicales, comme à Commercy.» Dans cette petite ville de la Meuse où les gilets jaunes ont été très actifs l'an dernier, certains ont laissé tombé la blouse fluo pour initier un mouvement citoyen qui présente une liste aux municipales. Une liste avec des propositions mais sans programme, puisque les citoyens détermineront les affaires courantes de la cité, par référendum si nécessaire.
Tirage au sort
A Saillans, dans la Drôme, la liste participative qui a été élue en 2014 remet son mandat en jeu, avec une équipe renouvelée et une méthode affinée. Devenus bien malgré eux une sorte de modèle, les élus de Saillans ont inspiré de nombreuses listes participatives, comme celle de Saint-Médard-en-Jalles, 30 000 habitants, dans la banlieue de Bordeaux. Ici, un groupe de citoyens constitué depuis quelques années, lassé de voir ses propositions ignorées par les élus locaux, a lancé sa propre liste. A l'instar de Saillans, le programme a été élaboré collectivement, une charte des valeurs a été adoptée et un observatoire mis en place pour s'assurer de leur respect. Une partie des candidats a été sélectionnée par tirage au sort, tandis que la tête de liste a été choisie sans candidature : ce sont les membres de l'assemblée citoyenne qui ont désigné, après discussions, la personne qui semblait avoir le plus de qualités de rassemblement et d'écoute pour porter le projet. «C'était un choc, j'ai eu besoin de quelques jours pour digérer avant d'accepter», raconte Cécile Marenzoni, directrice d'école maternelle de 49 ans, qui a ainsi été désignée par ses pairs. Faute de sondages, impossible de savoir si la liste a ses chances face aux trois listes concurrentes mais «la dynamique est bonne et l'accueil est chaleureux», assure la tête de liste. Et il ne s'agit pas de faire de la figuration : «Si nous n'avons pas d'élus, nous allons continuer à améliorer notre projet. Si nous sommes dans l'opposition, nous allons exercer notre rôle de contre-pouvoir. Si nous sommes élus, nous sommes prêts.»