«Je suis tombée trois fois de l'armoire.» Dans l'écosystème politique parisien déjà ébranlé par l'affaire Griveaux et l'épidémie du coronavirus, l'affaire Buzyn a fait l'effet d'une petite bombe, dont les séquelles risquent d'être difficiles à effacer. Ou d'un «tsunami», selon les mots de cette élue parisienne proche des marcheurs. Dans un entretien au Monde publié mardi, la tête de liste LREM à la mairie de Paris raconte qu'elle a pleuré lors de sa passation de pouvoirs avec Olivier Véran mi-février «parce qu'[elle savait] que la vague du tsunami était devant nous». «Je suis partie en sachant que les élections n'auraient pas lieu», assure-t-elle. Dès le 30 janvier, elle aurait d'ailleurs alerté le Premier ministre sur le fait que les élections «ne pourraient sans doute pas se tenir».
Un communiqué rédigé en urgence mardi et signé de son nom a beau relativiser ces propos et saluer l'action du gouvernement dans sa lutte contre la pandémie, le mal est fait. L'opposition, de gauche à droite, s'interroge sur la gestion de la crise. «C'est énorme, c'est normal que l'opposition s'en saisisse», avoue un marcheur interrogé par Libération. Invité au JT de France 2 mardi soir, Edouard Philippe a dû défendre son ancienne ministre tout en expliquant que «peu de médecins» étaient d'accord avec le tableau qu'elle dressait du Covid-19 à l'époque.
Au-delà de l'embarras dans lequel ils mettent l'exécutif, les propos de Buzyn ont semé le trouble chez les marcheurs parisiens. «Depuis le début je ne pensais qu'à une seule chose : au coronavirus. On aurait dû tout arrêter, c'était une mascarade. La dernière semaine a été un cauchemar. J'avais peur à chaque meeting. J'ai vécu cette campagne de manière dissociée», affirme en effet la candidate à la mairie de Paris. Beaucoup, dans son camp, savaient déjà que l'élection était perdue. Arrivée en troisième position derrière Hidalgo et Dati, avec 17% des voix, Buzyn a très peu de chances de remporter le second tour. «On savait qu'une fusion avec des candidats de droite ne se ferait pas en sa faveur, concède un candidat LREM. Ça n'a pas pris mais on pouvait essayer de minimiser la casse.»
«Rafiot»
Mais après de tels aveux, comment reprendre la campagne ? «Ses déclarations vont nous revenir constamment à la figure», anticipe le même élu. Sur les boucles WhatsApp et Telegram, qui chauffaient déjà en cette période de confinement, des candidats enragent. Tout le monde s'interroge : pourquoi avoir dit ça ?
Mercredi, Agnès Buzyn a appelé ses têtes de liste et la direction de la campagne. «Elle était effondrée et elle n'a pas pris la mesure de la déflagration de son article. Elle nous a expliqué que la journaliste l'a appelé dans un moment où elle n'était pas bien physiquement et psychologiquement », racote une tête de liste. La faute à un «gros rhume» et une campagne éprouvante. «Ca a été extrêmement violent pour tout le monde. Ce n'est pas une politique, elle ne s'attendait pas à ce que ce soit aussi dur.» «Elle ne connaît pas les règles du jeu politique, c'est très dur comme milieu, abonde un candidat LREM. Chirac disait qu'il fallait vingt ans pour faire un homme ou une femme politique.»
La défaite est d'autant plus dure à digérer qu'Agnès Buzyn a quitté le ministère de la Santé pour se lancer dans la bataille parisienne. «Elle est partie pour se mettre dans un truc qui était un rafiot en perdition, elle doit s'en vouloir», analyse le même candidat parisien. Plus de poste, mais la culpabilité de ne pas être restée à la tâche en période de crise. Et, selon certains, l'amertume de voir son successeur, Olivier Véran, plutôt bien gérer les choses. D'autres enfin, lisent cette sortie comme une vengeance contre le Président et le Premier ministre, qui l'auraient poussée à se lancer dans la bataille parisienne après le retrait de Benjamin Griveaux. «Elle n'avait pas envie d'être là pendant la campagne ni d'être maire de Paris», juge Anne-Christine Lang, députée LREM et candidate à Paris sur la liste Villani.
Changer, encore, de tête de liste?
«Elle est et restera notre candidate. La question de son remplacement ne se pose pas», assure à Libé la direction de LREM. Mais certains marcheurs se demandent déjà si, pour la deuxième fois en une campagne, il faudra changer de candidat d'ici le 21 juin… Dès lundi, avant la publication du Monde, la médecin de formation a annoncé avoir demandé sa réintégration à l'hôpital pour aider face à l'épidémie. Dans une lettre adressée à ses colistiers un peu plus tôt, elle expliquait par ailleurs «arrêter la campagne du deuxième tour». «Arrêter» et non «suspendre». «Ça ne veut pas dire qu'elle retire sa candidature», a affirmé son directeur de campagne. Sauf que la candidate elle-même, interrogée par l'AFP, a insisté : «Dans les semaines qui viennent, je ne peux être que médecin.»
Dans les faits, il est possible de déposer des listes par arrondissement sans présenter de candidat à la mairie centrale. Mais selon le conseiller de Paris Pierre Auriacombe, «ce n'est pas le scénario envisagé, car à Paris, le ressort du vote est la tête de liste». Pas impossible non plus de désigner un des colistiers à sa place. Resterait à trouver un nouveau candidat de secours, juste avant le deuxième tour. Agnès Buzyn pourrait alors se contenter de conduire la liste du XVIIe, où elle se présentait, à moins d'une fusion avec une autre liste qui lui permettrait de s'éclipser totalement de la campagne. Dimanche, elle est arrivée en seconde position dans l'arrondissement, très loin du maire LR sortant. Enfin, si comme le présument certains élus, le second tour n'a finalement pas lieu en juin, la donne pourra changer : «Si on organise le scrutin pendant les régionales par exemple, dans un an, tout est rebattu, analyse le conseiller de Paris. A ce moment Buzyn pourrait partir et on pourrait mettre un nouveau candidat. C'est ce qu'espèrent certains.» Y compris, peut-être, la principale concernée. Lors de son entretien téléphonique avec les têtes de liste, Agnès Buzyn a rappelé qu'il fallait «arrêter de faire de la politique» pendant cette période, mais qu'elle restait candidate... pour le moment. Car elle-même pense qu'il sera difficile de maintenir un second tour fin juin.