Menu
Libération
Politique

Coronavirus : l'exécutif rejette tout procès en retard à l'allumage

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Attaqué, le gouvernement se défend d'avoir sous-estimé l'épidémie. Le Premier ministre répondra ce mercredi soir aux questions de la mission d’information de l'Assemblée nationale.
Réunion de crise au ministère de l’Intérieur, le 20 mars. (Photo Gonzalo Fuentes. AFP)
publié le 1er avril 2020 à 16h10

Le temps est aux «explications» et à la «transparence», pas encore aux règlements de compte. Au plus fort de la crise, Emmanuel Macron a qualifié «d'irresponsables» ceux qui «cherchent déjà à faire des procès alors que nous n'avons pas gagné la guerre». Première visée, Marine Le Pen, qui a estimé ce week-end que le gouvernement mentait sur «absolument tout, sans aucune exception» afin de cacher aux Français «le niveau de faiblesse de l'Etat». Plus prudents, de nombreux responsables des oppositions n'en ont pas moins formulé de vives critiques depuis le début de la crise. Ce mercredi soir, la première séance de la mission d'information sur le coronavirus de l'Assemblée nationale sera, pour plusieurs d'entre eux, l'occasion d'interroger en direct (mais en visioconférence) le Premier ministre, Edouard Philippe, et le ministre de la Santé, Olivier Véran.

Comme il l'a déjà fait samedi soir lors du long exercice de pédagogie auquel il s'est livré en conférence de presse, Philippe plaidera la transparence. Face à une pandémie sans précédent depuis un siècle et dont la gravité est restée largement sous-estimée jusqu'au début du mois de mars, il fera valoir que comparé aux autres gouvernements de la planète, et singulièrement à ceux de l'UE, celui de la France n'a pas été le moins réactif. Interrogé mardi par le Quotidien du médecin, six ex-ministres de la Santé – de Claude Evin à Marisol Touraine – considèrent que leur successeur fait «le mieux possible», face à «l'imprévisible».

Le chef de file des députés LR, Damien Abad, et celui des insoumis, Jean-Luc Mélenchon, comptent parmi les 31 membres de cette mission d'information. Parce que le temps de «l'analyse politique» n'est pas encore venu, Abad assure qu'il ne sera pas question de «querelles idéologiques» mais de «questions concrètes».

Défiance

Il n’empêche : interrogé sur les masques, les respirateurs, les tests et plus généralement sur les moyens de l’hôpital, le chef du gouvernement aura de nouveau à répondre au procès en imprévoyance et en retard à l’allumage qui lui est fait depuis la mise en œuvre du confinement. Responsables politiques ou associations de soignants, ils sont nombreux à porter de graves accusations contre l’exécutif. Les uns saisissent le Conseil d’Etat pour qu’il constate ses défaillances, d’autres, évoquant l’affaire du sang contaminé, se tournent vers la Cour de justice de la République et promettent de faire condamner des coupables. Tous s’accordent à considérer que le pouvoir devra rendre des comptes. Les sondages des derniers jours donnent la mesure de la défiance. Selon l’institut Elabe pour BFMTV, les Français ne seraient plus que 41% à faire confiance à l’exécutif en ce début de semaine. Ils étaient 59% au lendemain de la première allocution télévisée de Macron, le 12 mars.

Pour sa défense, le gouvernement oppose à ses accusateurs le caractère totalement inédit d'une pandémie à laquelle aucun système sanitaire au monde ne serait préparé à faire face. Edouard Philippe l'a rappelé samedi soir : l'épidémie qui a conduit les gouvernants du monde à ordonner le confinement de près de la moitié de l'humanité est «sans précédent depuis un siècle». Avant d'être française, la crise est donc planétaire et, ces dernières semaines, en premier lieu européenne. «Nos savons les difficultés terribles auxquelles font face l'Italie et l'Espagne, nous mesurons celles que vont connaître nos amis britanniques et allemands», a-t-il ajouté. La stratégie française contre l'épidémie – «aplatir la courbe» grâce au confinement tout en augmentant la capacité en lits de réanimation – est aussi celle de «tous les chefs de gouvernement des pays européens» a insisté Philippe.

«Cynisme»

S'il se dit tout à fait prêt à rendre des comptes – «Le moment venu nous tirerons les leçons de la crise. Je répondrai à toutes les questions» – c'est à cet aune planétaire que le gouvernement demande à être jugé. «Certains pensent qu'ils savent parfaitement ce qu'il conviendrait de faire. Ils n'hésitent ni à donner des leçons ni à formuler des critiques a posteriori. Je leur laisse ce luxe.» S'agissant de Marine Le Pen, le député LREM Pieyre-Alexandre Anglade la renvoie aux chefs d'Etats qu'elle érige en modèle, Boris Johnson, Donald Trump ou Jair Bolsonaro qui se sont tous obstinés à minimiser la menace : «Elle cherche aujourd'hui dans le plus pur cynisme politicien à créer de la confusion. Son comportement est dangereux et irresponsable car il suscite du doute et de l'angoisse chez les Français», ajoute le député.

Le confinement a-t-il été décidé trop tard, comme le suggèrent certains ? Philippe est formel : «Nous avons décidé le confinement quand il est devenu nécessaire. […] Au moment où nous avons pris cette décision [le 16 mars, ndlr], il y avait moins de 8 000 cas sur le territoire national et moins de 200 morts. Chacun pourra apprécier les moments ou les gouvernements ont pris ces décisions.» A nombre de cas égaux, la France a décidé le confinement plus tôt que ses voisins, y compris l'Italie qui comptait 366 décès quand elle a décidé, le 8 mars, de mettre à l'arrêt tout le nord du pays. «Je ne laisserai personne dire que nous avons décidé trop tard», s'est emporté le Premier ministre samedi.

«Course mondiale»

A ses côtés, Olivier Veran a rappelé qu'il avait même été critiqué par certains – notamment par Philippe Juvin, chef des urgences de l'hôpital Georges-Pompidou et élu LR – quand il a décidé de lancer le «plan blanc», le 6 mars. Le stade épidémique n'était alors pas atteint et certains avaient jugé prématurée la mise en œuvre de ce dispositif qui permet de libérer des places dans les services de soin intensif.

Sur les pénuries de médicaments, de masques et de tests, le gouvernement fait là encore valoir que le problème est planétaire. Il faut admettre qu'«aucun système n'a été pensé pour faire face à une telle vague» a plaidé Philippe, décrivant une «course mondiale» derrière les mêmes produits et une «course contre la montre», tout aussi mondial, pour la fabrication des tests de sérologie.

Tout en rappelant que son ministère disposait de «très peu de données sur la contagiosité du virus et sur sa capacité d'immunisation collective», Véran a assuré dimanche dans le JDD qu'«il n'y a eu aucun retard» et que «l'anticipation a été absolue dès le premier jour». «Lors de mon premier Conseil européen, le 25 février, réuni à l'initiative de la France, nous n'étions que cinq pays, sur vingt-sept, à sérieusement considérer qu'il y avait une crise !» insiste le ministre. Selon un conseiller ministériel, sa prédécesseure, Agnès Buzyn, «prêchait dans le désert» quand elle plaidait, quelques jours plus tôt, pour une réponse européenne coordonnée.