Menu
Libération
Analyse

Pour Bruno Le Maire, la pire récession «depuis 1945»

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Sans donner encore de nouveaux chiffres, le patron de Bercy a prévenu, lundi devant le Sénat, que l'économie française allait toucher le fond en 2020. Il a aussi dit qu'augmenter les impôts pour relancer l'économie n'est «pas une bonne idée».
Bruno Le Maire, à l'Assemblée le 9 avril 2019. (Photo Albert Facelly pour Libération )
publié le 6 avril 2020 à 16h10

Une économie française en lambeaux. Voici le tableau dressé lundi matin devant le Sénat par Bruno Le Maire. Selon le ministre de l'Economie et des Finances, la France devrait connaître la pire récession de son histoire depuis la Seconde Guerre mondiale. «Le chiffre de croissance le plus mauvais qui ait été fait par la France depuis 1945, c'est en 2009 après la grande crise financière de 2008 : -2,2%, a rappelé le patron de Bercy auditionné par la commission des affaires économiques de la chambre Haute. Nous serons vraisemblablement très au-delà […] C'est dire l'ampleur du choc économique auquel nous sommes confrontés.» Et encore, Le Maire avait repris un chiffre issu d'une première évaluation. Peu après, ses équipes ont corrigé, rappelant qu'à l'époque, la récession française avait été de -2,9%.

Après trois semaines de confinement, le gouvernement devient donc bien plus réaliste quant aux conséquences de la mise à l'arrêt de l'économie française et mondiale. Dans sa loi de finances rectificatives votée en urgence mi-mars, l'exécutif estimait à (à peine) -1% en 2020 le «choc négatif lié à l'épidémie de coronavirus». «L'impact économique […] est cohérent avec les évaluations publiées en mars par l'OCDE et la BCE, qui estiment un choc négatif allant de -0,2 à -1,4 point de PIB en 2020 pour l'Europe selon le degré de contagion et les mesures mises en place», pouvait-on lire dans le «rapport sur l'évolution de la situation économique et budgétaire» placé en préambule de cette loi autorisant de nouvelles lignes de crédit.

Un PIB en chute de 13 points ?

Mais depuis, d'autres estimations ont fleuri : pour l'Insee, un mois de confinement coûterait environ 3 points de PIB à la France sur un an, 6 points pour deux mois. Fin mars, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) de Sciences-Po Paris avait calculé une perte de PIB à -2,6 points sur un an. «C'est une situation complètement incroyable […] sans commune mesure avec les chocs qu'on a pu connaître», avait lancé son président Xavier Ragot. Bruno Le Maire avait donc déjà, devant la presse, évoqué une «situation comparable à 1929». Dans ses prévisions, la banque Unicredit est cette semaine, encore plus apocalyptique : après une croissance de 1,3% en 2019, la France connaîtrait un PIB en chute de -13,8 points en 2020. Le pays serait dans la moyenne de la zone euro (-13% de croissance) mais ferait moins bien que l'Allemagne (-10%). En revanche, selon le groupe bancaire italien, le rebond serait spectaculaire en 2021 : la croissance du PIB pourrait être de +11,6% (+10% pour la zone euro).

Mais dans les rangs de la majorité, pas question de fanfaronner sur la suite. «Tant qu'on n'a pas de vision claire du déconfinement, on n'a pas de vision claire du redémarrage de l'économie, souligne le rapporteur général du budget, Laurent Saint-Martin, interrogé par Libération. Il faut se préparer à une récession extrêmement lourde et savoir accompagner notre économie.» Pour le député LREM du Val-de-Marne, s'il y a une raison d'être «optimiste», elle tient à la spécificité de cette crise hors normes : «Contrairement à un choc financier, on a volontairement appuyé sur le bouton stop. Donc normalement, on devrait pouvoir maîtriser le redémarrage.» En revanche, prévient-il, cela ne se fera pas sans «faillites» ni casse du point de vue social. «Nous allons tout faire pour que le nombre de faillites et donc de pertes d'emplois soit le plus faible possible, assure-t-il, mais il ne faut pas se leurrer, il y en aura.» «Bruno Le Maire a raison au plan de la comptabilité immédiate : la chute de PIB va etre supérieure à celle de 2009, abonde celui qui était rapporteur général du budget à l'époque, le député LR Gilles Carrez. La question réside dans les phénomènes de rattrapage qu'on ne sait pas encore mesurer. Il va donc falloir reflechir à des moyens pour aller au delà de simples mesures de tresorerie : des prêts à moyen terme adossés à la collectivité publique et la mise en place de quasi fonds propres.»

Records de déficit et de dette publics

Le gouvernement a pourtant déjà sorti une partie de son artillerie : 8,5 milliards d'euros pour financer le chômage partiel, 2 milliards pour un fonds de solidarité à destination des petites entreprises et des indépendants, reports des versements de cotisations sociales et du paiement des impôts, garantie bancaire d'Etat à hauteur de 300 milliards… Mais le tout est finalement bien inférieur aux besoins de l'économie française. «Rien que sur le chômage partiel, on aura consommé en un mois ce que nous avions budgété pour deux», fait remarquer Saint-Martin. Résultat, une fois ses nouvelles prévisions envoyées à Bruxelles (mi-avril au plus tôt), l'exécutif devrait déposer un nouveau projet de loi de finances rectificative. Avant un troisième texte qui pourrait, selon le rapporteur général, «intervenir en juin-juillet» et qui pourrait contenir de premières mesures de relance.

Avec une promesse faite par Le Maire : le gouvernement ne reviendra pas sur les engagements qu'il a déjà pris (suppression totale de la taxe d'habitation notamment). Et même s'il a convenu qu'à l'automne 2020, à l'occasion de l'examen du budget 2021, il sera temps de «redébattre» de politique fiscale, le ministre des Finances a répété lundi qu'il n'était «pas une bonne idée de vouloir relancer la machine économique en augmentant les impôts». Et comme on n'imagine pas Emmanuel Macron, après ses différentes allocutions, s'engager dans un plan d'économies drastiques, il faut donc s'attendre à d'autres records en termes de déficit et de dette publique. Jusqu'ici, le gouvernement tablait, pour le premier, sur une chute à -3,9% de PIB. Pour la seconde, il s'est bien gardé d'évoquer pour l'instant le moindre chiffre mais annonce déjà la couleur : elle dépassera largement les 100% de PIB.