Menu
Libération
Municipales à Paris

Municipales : à Paris, les règlements de comptes commencent chez les macronistes

Dans un courrier que «Libération» s'est procuré, les militants LREM du XVIe arrondissement s'en prennent à leur tête de liste, accusée d'avoir échoué au premier tour parce que trop à droite. Ils tirent également sur la stratégie choisie par Agnès Buzyn.
Une affiche électorale d'Agnès Buzyn à la veille du premier tour des municipales. (Photo Joël Saget. AFP)
publié le 9 mai 2020 à 18h08

Le XVIe arrondissement de Paris est un théâtre. La vie politique s'y joue comme une pièce aux innombrables péripéties. Tout au long de la campagne municipale, les élus Les Républicains y ont tenu les premiers rôles. Dans ce bastion historique de la droite, ils se sont livrés à une bataille fratricide à coups de candidatures dissidentes. S'ouvre maintenant l'acte des marcheurs. Dans un courrier classé «confidentiel» que Libération a pu consulter, adressé à celle qui est toujours la tête de liste LREM dans la capitale, Agnès Buzyn, et au patron du parti présidentiel, Stanislas Guerini, 39 marcheurs du XVIe, dont 17 colistiers, demandent la tête de celle qui les a menés jusqu'au premier tour sans jamais la nommer, Hanna Sebbah.

Selon eux, LREM avait toutes ses chances face à des habitants hermétiques à la gauche et fatigués du règne de Claude Goasguen. Depuis l'Assemblée nationale, l'ancien maire tient toujours les rênes de la vie politique de l'arrondissement. Francis Szpiner, le candidat LR qui a reçu sa bénédiction, a recueilli 48% des voix le 15 mars dernier, malgré les candidatures de droite dissidentes de la maire sortante Danielle Giazzi et de la sénatrice Céline Boulay Esperionnier. Les marcheurs attribuent donc le «revers électoral» que constitue selon eux leurs 24% à Hanna Sebbah. «Notre tête de liste conjuguait les caractéristiques incompatibles avec le fait de mener la liste LREM dans le XVIe», écrivent-ils. Et dressent une longue liste de griefs : «issue de la majorité sortante, que l'on a combattue pendant trois ans; en tant qu'adjointe en charge des associations, elle a un bilan quasi nul; héritière patentée de Claude Goasguen, considéré comme son mentor; trop jeune et pas du tout à l'image de la sociologie de l'arrondissement; superficielle dans ses approches et sans incarner les valeurs de notre mouvement». La candidate venue des rangs de la droite est également accusée d'avoir «fondé une campagne sur le dénigrement d'autres candidats» ainsi qu'une «gestion autoritaire».

La campagne Buzyn au cœur des critiques

Les marcheurs en révolte demandent donc un changement de tête de liste si les deux tours des municipales devaient finalement être rejoués ou une fusion avec la liste de Cédric Villani si le scrutin du 15 mars était validé. «Je suis ébahi, ce sont sept pages de procès», se lamente un élu parisien qui s'est rapproché des marcheurs pendant la campagne. «Quelle idée j'ai eue», s'interroge-t-il en riant. Au-delà de la violence des attaques, c'est le moment choisi pour asséner les coups qu'il déplore. «De la politique politicienne lamentable», en pleine crise sanitaire touchant sévèrement la capitale, résume le conseiller municipal.

Le cas du XVIe arrondissement jette une nouvelle lumière sur dissensions des marcheurs parisiens. Dans leur courrier, les signataires analysent aussi l'échec de la campagne à l'échelle de la ville.  Au-delà de l'abstention liée à l'épidémie, élément clé du discours de LREM pour justifier leur score, et de  la dissidence de Cédric Villani, que les marcheurs déplorent depuis longtemps, ils pointent des erreurs stratégiques. A commencer par le positionnement trop à droite de leur tête de liste. Ce choix de campagne «n'a pas permis de se différencier de l'offre de Rachida Dati, notamment sur la sécurité et la propreté, et a fait fuir notre électorat de centre gauche par manque de dimension sociale du programme et par l'abandon du positionnement ni de gauche ni de droite». La critique résume le tiraillement des marcheurs qui se sont disputé le macronisme tout au long de la campagne. D'un côté, Benjamin Griveaux puis Agnès Buzyn, qui revendiquaient l'étiquette, de l'autre, Cédric Villani, qui assurait s'inscrire dans la démarche «originelle» du mouvement macroniste face à la dérive droitière du camp des officiels.

Cette tactique de siphonnage a eu un effet sur la composition des listes selon les marcheurs du XVIe, qui assurent que les militants du mouvement «ont été tout simplement relégués au second rang» pour faire de la place aux élus issus de la droite. Et si les erreurs stratégiques et les reniements ne suffisaient pas à expliquer la défaite, les signataires pointent aussi la faiblesse du programme. «L'absence d'un projet disruptif et visionnaire, qui en même temps réponde aux besoins du quotidien des Parisiennes et des Parisiens, a également beaucoup joué», poursuivent-ils. Cette fracture intervient donc alors que les marcheurs parisiens sont déjà désorientés par une campagne aussi mouvementée que poussive et l'attitude de leur tête de liste. Les propos d'Agnès Buzyn, qui a assuré avoir alerté le Premier ministre sur le fait que les élections «ne pourraient sans doute pas se tenir» dès le 30 janvier à cause du Covid-19, résonnent encore dans toutes les têtes. Beaucoup de marcheurs admettent qu'il sera difficile de reprendre la campagne comme ils l'ont laissée, à Paris comme dans le XVIe.