La rumeur a fait tant de fois le tour du Palais Bourbon que les marcheurs s'y sont résigné. La perspective d'un neuvième groupe nommé «Ecologie, démocratie, solidarité» et composé de députés LREM ou ayant pris leurs distances, et écologistes, devrait, dans les prochaines semaines, faire trébucher le groupe majoritaire (296 membres) sous le seuil de la majorité absolue (289). «Cette fois-ci sera peut-être la bonne… ou pas» : s'il ménage un faux suspense, le chef de file LREM à l'Assemblée nationale, Gilles Le Gendre, se disait mardi lors de son point presse hebdomadaire «ni heureux ni surpris». Tandis que les députés qui pourraient en être semblent s'astreindre à la discrétion jusqu'au lancement, les marcheurs qui le restent, eux, n'attendent pas l'officialisation pour débiner l'entreprise de leurs futurs ex-camarades.
«Mieux à l’extérieur»
Dans le groupe majoritaire, où le confinement loin de l'Assemblée nationale a généré de nouvelles frustrations, on juge le moment mal choisi pour quitter le navire. Les artisans du neuvième groupe avaient d'abord attendu la fin de l'épisode de la réforme des retraites pour s'organiser après les élections municipales mais la crise sanitaire a gelé leurs intentions. Même une fois amorcé le déconfinement, Jean-Charles Colas-Roy juge la démarche «à contretemps» : «Ceux qui sont solides aujourd'hui sont ceux qui restent à LREM.» Un autre député, pourtant critique sur le fonctionnement du groupe LREM, estime qu'il fallait «un élément déclencheur pour partir : là on ne comprend pas l'enjeu de créer un groupe maintenant, qui plus est quand le Parlement fonctionne au ralenti». Regrettant, «si tel était le cas, que le ferment de la division soit à l'œuvre dans une période exceptionnelle», la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye a elle aussi «évoqué un contretemps, pour ne pas dire un contresens politique».
«Rationnellement si on veut peser ou contester un positionnement politique, il faut savoir dans quel cadre on va jouer. Or nous sommes dans une phase où il va falloir réinventer un projet, une méthode politique, c'est curieux de vouloir d'ores et déjà s'en distinguer», complète Gilles Le Gendre. Celui-ci invoque également le fait que «pour peser au Parlement, il faut compter. Or les hypothèses de chiffres ne leur permettront pas de jouer ce rôle».
Une liste de 23 noms a circulé mardi dans la soirée. Seule socialiste citée, Cécile Untermaier a immédiatement démenti. Pour les autres noms (11 députés LREM ou apparentés, neuf non inscrits pour la plupart ex-LREM et deux élus de Libertés et territoires dont Matthieu Orphelin), «la liste est exacte même si on est à 99% de notre réflexion», dit un des membres qui n'a «pas démenti, sans vouloir communiquer». Des échanges ont eu lieu, «courtois et sans pression» avec Gilles Le Gendre sur le motif de son départ, le moment, la question de son influence au sein d'un petit groupe : «Je serai sans doute mieux à l'extérieur même si mon impact se trouve un peu affaibli.» Une députée qui préfère, pour l'heure, rester à LREM, verrait toutefois d'un bon œil ce groupe se monter : «Ils apporteraient une diversité de parole, une vraie voix social-démocrate qui manque aujourd'hui.» Mais un autre, amer, dénigre l'aventure d'«une somme de personnalités qui ont du mal à se retrouver dans un collectif et vont peiner à piloter un groupe».
«A hue et à dia»
«C'est plus le bal des ego que la convergence des idées, balance, pour sa part, Jean-Charles Colas-Roy. Le seul truc clair, c'est l'envie d'exister.» Le positionnement «ni dans la majorité ni dans l'opposition», décrit dans le manifeste du futur groupe révélé par les Echos, a fait tiquer. «C'est trop facile, ils doivent affirmer leur ligne», prévient Marie Lebec. Mais la vice-présidente du groupe LREM juge que cette rupture permettrait aussi une clarification : «On doit être soudés mais pas au prix d'un consensus mou.» «Aujourd'hui cette minorité fixe l'agenda médiatique et tire le groupe à hue et à dia», abonde un responsable macroniste. Manière de se rassurer ? Même délivré de ses membres remuants, «Gilles Le Gendre fera face à un échec : sa feuille de route était de veiller à l'unité.»