L'heure de vérité pour StopCovid. Ce mercredi, l'Assemblée nationale puis le Sénat vont enfin débattre de ce projet d'application de traçage automatisé des contacts, puis se prononcer par un vote. Annoncé début avril par le secrétaire d'Etat au Numérique, Cédric O, et le ministre de la Santé, Olivier Véran, l'outil vise à permettre à ses utilisateurs d'enregistrer l'historique de leurs contacts – pendant plus de 15 minutes et à moins d'un mètre – via la technologie Bluetooth, afin qu'une personne diagnostiquée positive au Sars-Cov-2 puisse avertir celles qui ont été à sa proximité les deux dernières semaines. Un projet qui a provoqué une large controverse : défendu par des épidémiologistes, décrié par des défenseurs des droits fondamentaux comme la Ligue des droits de l'homme ou l'association la Quadrature du Net, il a reçu l'aval – prudent – du Conseil national de l'ordre des médecins et de l'Académie de médecine.
Droit à l'effacement des données
Cédric O peut en tout cas se targuer d'avoir décroché un feu vert global de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Fin avril, celle-ci avait déjà émis un «oui» de principe, non sans appeler à «une grande prudence» et réclamer des garanties. Dans son avis sur le projet de décret encadrant le déploiement de StopCovid, rendu public mardi, le gendarme des données personnelles délivre un satisfecit global sur ce dispositif «temporaire» (il est voué à disparaître au plus tard six mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire), «basé sur le volontariat», qui «utilisera des données pseudonymisées, sans recours à la géolocalisation», et apparaît comme un «instrument complémentaire» au traçage des contacts opéré par les enquêteurs sanitaires en permettant de notifier d'un risque de contamination des inconnus croisés, par exemple, dans les transports en commun.
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Pour autant, la Cnil émet plusieurs «observations» sur les conditions de déploiement. L'utilité de l'appli devra être scrutée régulièrement, la durée de sa mise à disposition devant être «conditionnée aux résultats de cette évaluation». La commission demande également une meilleure information des utilisateurs, une «information spécifique» pour les mineurs et leurs parents, la mise en place d'un droit à l'effacement des données enregistrées sur le serveur central, ainsi que la publication de «l'intégralité du code source» de l'appli et du serveur. Le projet de décret, dans les tuyaux du Conseil d'Etat, devrait être rendu public ce mercredi.
De son côté, l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), qui coordonne le développement de StopCovid, a commencé à publier des parties du code de l’application mi-mai. La semaine dernière, celle-ci a été testée par une soixantaine de militaires. Mardi, l’Inria et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) ont annoncé le lancement d’un programme de «bug bounty», une chasse aux failles de cybersécurité qui vise à soumettre l’appli aux experts en la matière.
«Disponible dès ce week-end»
Dans une interview au Figaro, mardi, O a annoncé que StopCovid pourrait «être disponible dans les magasins d'application d'Apple et Android dès ce week-end». Diplomate vis-à-vis des députés et sénateurs – dont le vote n'aura pas de portée juridique –, le secrétaire d'Etat prend la précaution de préciser : «sous réserve du vote au Parlement». A l'Assemblée nationale, l'issue du débat ne préoccupe guère le chef de file LREM, Gilles Le Gendre, qui dit n'avoir pas fait de «pointage» préalable. Le sujet avait pourtant enflammé ses troupes mi-avril, une petite partie très hostile mettant tout son poids pour écarter un outil «contraire à l'ADN libéral d'En marche». «En numérique, il n'y a pas d'imperméabilité des systèmes. C'est étonnant de faire semblant de l'ignorer, nous qui avons connu les Macronleaks en 2017», s'étranglait un député.
Venu plaider sa cause en réunion du groupe LREM, il y a un mois et de nouveau ce mardi, Cédric O s'est démené pour lever les craintes. «Il y a eu une vraie émotion mais ça s'est beaucoup apaisé», promet Gilles Le Gendre, sans nier que «les plus réticents ne sont pas forcément convertis». Sacha Houlié, l'un des orateurs LREM du débat (avec Mounir Mahjoubi et Marie Lebec, favorables, eux, à l'application), maintient son «opposition de principe» : «Je n'en vois pas l'utilité, il y a un risque de fuites de données inhérent à tout dispositif numérique et quand on adopte ce type de mesures, on ne revient jamais en arrière.» Circonspect au départ, Guillaume Kasbarian votera pour, après avoir été «rassuré sur le respect des libertés individuelles et malgré quelques doutes sur les biais opérationnels» : «C'est une présentation version "keynote" qui serait utile, pour donner envie de télécharger l'application.»
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«Appli-gadget»
Dans l'opposition, rares devraient être les smartphones à «biper». A gauche, communistes, insoumis et socialistes devraient voter contre. André Chassaigne (PCF) redoute une forme d'«acclimatation à une société où nos déplacements vont être tracés petit à petit», tandis que Laurence Dumont (PS) avertit : «Ce qu'on grignote, en période de crise, en matière de libertés, on ne le récupère pas automatiquement ensuite.» Président du groupe LR, Damien Abad assure que celui-ci votera «massivement contre» et ne voit pas l'intérêt d'une «appli-gadget sortie du chapeau 15 jours après le début du déconfinement».
Interrogé mardi par la commission des lois sur la valeur ajoutée de StopCovid et ses failles potentielles, Cédric O a de nouveau vanté une brique dans une stratégie globale pour «couvrir les cas de transmission que les brigades sanitaires ne savent pas couvrir». «Toute technologie peut présenter un risque, mais nous avons pris toutes les garanties possibles, a-t-il voulu rassurer. Je pense que c'est le fichier le plus sécurisé de la République française !» Un triomphant slogan à archiver au cas où…