Maire du XVe arrondissement de Paris depuis 2008, Philippe Goujon a un rituel de campagne : il s'installe sur une place, micro à la main, devant un kakémono et il «harangue la foule». «Au bout d'un moment, il y a 50, 100 personnes qui s'agrègent», raconte l'édile LR. Il va pourtant lui falloir renoncer à ce dispositif en vue du 28 juin. Imaginer, peut-être, des militants jouant les officiers de sécurité pour éviter les attroupements. La campagne officielle devant démarrer le 15 juin, les candidats et leurs équipes remettent la machine en route le Covid en tête : marqués par les suspicions de contaminations lors du premier tour et inquiets des risques que pourrait représenter le second.
«Code de bonne conduite»
Plusieurs têtes de liste, l'écolo David Belliard, l'insoumise Danielle Simonnet ou encore le marcheur dissident Cédric Villani penchaient d'ailleurs pour un report après l'été. Les troupes du mathématicien ont commencé à réinvestir le local de campagne «avec précaution», souligne-t-on. Chez Les Républicains, qui ont mené une campagne médiatique pour javelliser les rues de Paris pendant le confinement, on a fait désinfecter le QG, vide depuis deux mois. Une période de pause durant laquelle les équipes des candidats sont restées en contact, pour parler politique ou s'échanger des recettes de cuisine.
En attendant les recommandations du gouvernement, chaque camp a commencé à imaginer une campagne adaptée aux règles de distanciation physique. Du côté d'Anne Hidalgo, un groupe de travail constitué de responsables politiques, de médecins mais aussi de psys, pour aider à appréhender la peur des électeurs, a été mis en place. «Il va aussi falloir discuter entre candidats pour se mettre d'accord sur un code de bonne conduite», estime Jean-Louis Missika, adjoint de la maire socialiste. Au temps du coronavirus, c'est tout le cérémoniel traditionnel de la campagne qui doit être repensé, des tracts qui passent de mains en mains aux meetings où l'on s'agglutine. «Peut-être qu'il faudra montrer les documents de campagne sur des tablettes plutôt qu'en donnant des papiers ?» s'interroge l'élu parisien. Beaucoup redoutent aussi le traditionnel porte-à-porte : difficile de s'inviter dans l'entrée des foyers à peine déconfinés.
Coucous
Pour l'instant, quand bien même le ministre de l'Intérieur ne l'exclut pas faisant le parallèle avec les offices religieux désormais autorisés, personne n'ose prononcer les mots «réunions publiques». Les équipes parlent plutôt de «rendez-vous en plein air» ou de «déambulations». «Pas de rassemblement, mais nous serons sur le terrain pour échanger avec les Parisiens», a fait savoir la candidate LR Rachida Dati, qui avait maintenu son grand meeting juste avant le premier tour malgré le début de l'épidémie. La meilleure adversaire de la maire sortante compte poursuivre avec la formule qui a fait le succès de sa campagne : des rencontres avec des habitants, quelques coucous aux commerçants et beaucoup de photos lors de déplacements ciblés. «Faire campagne, ce n'est pas du télétravail», affirme-t-on dans son entourage.
Le second tour, pourtant, se jouera en partie à distance, avec des meetings numériques mais aussi «beaucoup de réseaux sociaux et de médias», confirme Jean-Louis Missika. Au risque de creuser les écarts selon le poids médiatique. «Il va y avoir une inégalité entre les candidats installés, notamment ceux qu'on a vu gérer la crise, et les autres», déplore une tête de liste LREM. Une prime à la maire sortante d'un côté donc, et à sa médiatique opposante Rachida Dati alors qu'Agnès Buzyn, en retrait pendant le confinement, «n'a pas cherché à continuer la campagne», regrette cet élu parisien. Moins souvent invitée sur les plateaux, la candidate LFI Danielle Simonnet enrage contre ce second tour sans campagne, un «déni démocratique», tout en cogitant. Pour exister, il va falloir faire connaître les outils de propagande numérique : «Mais le problème des réseaux sociaux, c'est que les gens sont soit déjà convaincus avec ou contre vous.» Reste le traditionnel «boîtage» - distribution de tracts dans les boîtes aux lettres - avec des gants.