Son équipe promettait qu'elle dirait «sa vérité». On aura surtout entendu un argumentaire. Repartie en campagne avec LREM pour le second tour à Parisaprès des jours de doutes en forme de montagnes russes, Agnès Buzyn tente de déminer le terrain. Les marcheurs ont bien conscience que ses propos au Monde vont lui être rappelés tout au long de la campagne. Dans un entretien publié au lendemain du second tour, l'ex ministre de la Santé, qui a pris le relais de Benjamin Griveaux mi février, a affirmé qu'elle s'était engagé dans la bataille parisienne en sachant que l'élection, qualifiée de «mascarade», n'aurait pas lieu. «Elle sait que ce sera dur de porter le message de notre programme parce qu'on va lui remettre en permanence ses déclarations dans la tronche», admet une tête de liste LREM.
Son équipe de campagne a donc décidé de désamorcer sans attendre, en l'envoyant affronter les questions des journalistes. Une opération sauvetage déclinée ce jeudi en radio et presse écrite, sur France Inter et dans le Figaro, avec les mêmes éléments de langage. Il y a d'abord les regrets «d'avoir répondu à cette journaliste» du Monde et «d'avoir employé le terme "mascarade"». Le rejet de la faute sur les concurrents : «Toute la journée [du lendemain du premier tour], il y a eu des tractations pour des fusions comme si de rien n'était, ça m'a choquée.» Et le rappel du contexte : «Nous étions face à d'énormes incertitudes, l'OMS a déclaré la pandémie mondiale le 11 mars, quatre jours avant l'élection.» A dessein, la candidate LREM choisit cette date plutôt que celle du 29 janvier, jour où l'OMS a affirmé que l'épidémie était une «urgence de santé publique de portée internationale». Jour aussi, où elle a averti le Premier ministre «que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir».
«Ce n'était pas une certitude. Mais un pressentiment, une intuition forte», s'est-elle défendue quasi mot à mot sur France Inter et dans le Figaro. «Si tout le monde minimise, je ne vais pas dire qu'une catastrophe arrive», a-t-elle ajouté à l'antenne ce jeudi matin. Si elle n'a pas convaincu, l'ex-ministre peut s'abriter derrière le fait qu'elle «réserve [ses] propos pour la représentation nationale». Mise en cause dans la gestion de la crise sanitaire, elle doit être auditionnée lors de commissions d'enquête à l'Assemblée et au Sénat. «Il faudra d'autres interventions dans les jours qui suivent, elle a besoin d'y aller étape par étape», affirme son nouveau porte-parole, Pierre-Yves Bournazel.
Des marcheurs coincés avec leurs contradictions
Les marcheurs parisiens savent que cette longue campagne du second tour (un mois au lieu d'une semaine) va être pénible. Avant même les déclarations d'Agnès Buzyn sur la pandémie, le premier tour était un échec pour LREM. Le parti présidentiel, qui avait fait 33% aux européennes de mai 2019 et se voyait déjà à la tête de la capitale, est arrivé en troisième position avec 17% des voix, derrière Anne Hidalgo (Parti socialiste) et Rachida Dati (Les Républicains). Le clivage gauche droite a doucement repris ses droits, coinçant les marcheurs avec leurs contradictions. En «off», tout le monde assume que le combat est perdu, mais officiellement, le camp Buzyn répète qu'elle porte une troisième voie, forcément centrale. Alors que certains combattants du premier tour, désespérés, ont décidé de faire profil bas, son équipe de campagne a été remaniée dans l'espoir de se relancer. Pierre-Yves Bournazel, député issu de la droite et tête de liste dans le XVIIIe arrondissement, a donc été nommé porte-parole. Gaspard Gantzer, ancien conseiller de François Hollande à l'Elysée et candidat dans le Ve, s'occupe désormais de la communication. «Il y a un mois d'entre-deux-tours, c'est une nouvelle campagne qui commence», veut-il croire.
Il s'agit en réalité de sauver les meubles, soit entre 10 et 15 sièges de conseillers de Paris sur 163, selon le calcul d'experts de la carte électorale parisienne. Et de tenter de conserver les mairies des Ve et IXe arrondissements. Les maires sortantes, élues sur des listes de droite en 2014, candidates avec le tampon LREM ce coup-ci, sont en sursis. Sans alliance, elles peuvent être renversées par l'accord entre socialistes et écolos. Preuve de la panique à bord, les marcheurs vont laisser Florence Berthout, l'édile du Ve, fusionner avec LR. Delphine Bürkli, la maire du IXe, plaiderait de son côté pour des retraits réciproques.
Villani pencherait pour Hidalgo
«Ce n'est pas une alliance avec Dati mais un accord local», défend Gaspard Gantzer. Lui qui a «tant donné à la gauche», dit-il en souriant, assure de pas être gêné par cette manœuvre. Mais d'autres, au sein de la majorité présidentielle, sont moins à l'aise avec ce rapprochement après la campagne droitière de la candidate LR. «Tout nous sépare de Rachida Dati. Fusionner à Paris une liste En marche avec une liste Les Républicains est une faute. Sommes-nous vraiment prêts à renoncer à nos valeurs pour une mairie d'arrondissement ?» a ainsi publiquement regretté le député LREM Hugues Renson.
Plus problématique, l'accord a refroidi les villanistes. Le camp du député issu de la majorité est tiraillé entre Agnès Buzyn et Anne Hidalgo. Leurs discussions n'en finissent pas. «Cédric change d'avis toutes les deux secondes», glisse un candidat de ses listes. Le cas Berthout pourrait l'aider à se décider. «Là, ça semble être Hidalgo», affirme la même tête de liste. Mao Péninou, qui porte la liste du mathématicien dans le Ve, défend cette position. «L'accord de Berthout interdit tout accord avec LREM. Une ligne rouge a été franchie. Il faut en tirer les conséquences pour tout Paris», affirme l'ex-adjoint d'Anne Hidalgo. Un socialiste résume : «Berthout a été un éléphant dans la porcelaine macroniste.»