Du côté pair de la rue, David Belliard patiente dans un café. Le chef de file des écolos est inquiet. Ce 13 mars, dans deux heures, Emmanuel Macron doit parler. On suppose alors qu'il annoncera le report du premier tour des municipales, trois jours plus tard. Juste en face, Yannick Jadot fait une interview face caméra. «Il jacte, il jacte», s'amuse un membre de l'équipe Belliard, qui attend le député européen pour commencer sa conférence de presse. L'homme arrive, bonhomme, tend son coude en guise de poignée de main, et s'installe à côté du candidat qui peut maintenant dérouler ses éléments devant les journalistes. Le pouce et l'index qui forment un cercle, pour appuyer son propos, David Belliard parle écologie et recomposition du paysage politique. «Nous sommes aujourd'hui…» Mais la suite ne vient pas. Il cale, cherche dans ses notes. Jadot prend le relais : «Prêts ! C'est le mot ! Qu'est-ce qu'il s'est passé depuis le 26 mai ?» Pour les écolos, 2019 c'est un peu l'année zéro. Il y a la naissance du Christ pour certains, le scrutin européen pour d'autres. En particulier pour Jadot, qui menait la liste et qui a propulsé les verts à plus de 13% des suffrages. Belliard reprend le fil, parle des coupes budgétaires du système de santé, mais le député européen l'interrompt pour parler d'autre chose. Belliard ne dit rien mais sur son visage on croit déceler une pointe d'irritation.
«Nous, on se coltine la réalité après»
Yannick Jadot prend de la place. Parfois trop. Un mois plus tôt, lors d'un meeting au Trabendo, il a crispé plus d'un écolo. Depuis le début de la campagne, ils répètent que c'est leur moment. Finie, l'époque où ils étaient les supplétifs des socialistes. Du coup, ils cognent sur ceux qui sont leurs alliés parisiens depuis 2001. Pointent leurs désaccords, notamment sur l'urbanisme. Mais Jadot y va plus fort que les autres. Accuse la maire sortante Anne Hidalgo de greenwashing : «Ça me fait rire de voir les tracts en vert, il n'y a plus de rose, plus le logo socialiste.» «Je ne voyais pas trop l'intérêt de s'en prendre à Anne Hidalgo, mieux vaut être sur une campagne en positif, en proposition», affirme David Cormand, l'ex-patron des Verts. Jérôme Gleizes, candidat dans le XXe arrondissement, dit les choses plus sévèrement : «L'accuser de greenwashing, ce n'est pas audible si ce n'est pas argumenté et ça fait oublier les vraies divergences de fond, sur les concessions faites au privé par exemple. Parfois, il se laisse emporter dans son élan. Il n'a jamais été dans un exécutif municipal. Nous, on se coltine la réalité après. Pour être élu maire, il faut faire 50%, pas 15%-20% comme pour un député, donc on est obligés d'anticiper le futur.» Autrement dit, s'affirmer face aux socialistes sans mettre en péril une alliance de second tour, nécessaire pour remporter l'élection.
Dans la coalition climat proposée par David Belliard pendant la campagne, Anne Hidalgo a toujours eu sa place, aux côtés de l'insoumise Danielle Simonnet et du dissident macroniste Cédric Villani. Pour ce dernier, Jadot n'a que des compliments. «C'est notre médaille Fields, c'est un personnage incroyable […] S'il continue dans ce sens, ce sera une bonne chose de travailler avec lui», assure-t-il le même soir au Trabendo. Ces attaques d'un côté, ces caresses de l'autre, n'ont rien d'anodin. Chez les écolos, des sensibilités coexistent : d'un côté, ceux qui veulent conserver un ancrage à gauche, de l'autre ceux qui prônent son dépassement. Jadot est de ceux-là. Certains ont donc vu sa patte dans la proposition de Belliard.
«Ecraser Anne»
Les proches de Belliard insistent : Jadot n'a rien téléguidé. «Il a plus perturbé qu'influencé la campagne», juge un écolo parisien. La coalition climat, c'est Belliard tout seul comme un grand. «Tout le monde a cru que c'était un bébé Jadot lancé dans la bataille de Paris mais ce n'est pas du tout ça, au début de la campagne, les relations étaient même plutôt froides, il n'était pas du tout dans la boucle», assure un membre de l'équipe. C'est le député européen lui-même, qui s'est impliqué dans la campagne parisienne, qui se serait rapproché du candidat au moment de sa proposition d'union. «Je pense qu'il a souhaité incarner cette orientation», analyse David Cormand. «Il a joué sa carte, résume un élu EE-LV, tandis que David Belliard a pris ce qu'il avait à prendre».
Certains, plus sévères, suspectent le député européen d'avoir voulu saborder Hidalgo, qu'il soupçonne de penser à l'Elysée. «Il veut écraser Anne, analysait un socialiste pendant la campagne. Il fait une connerie monumentale parce qu'il aura besoin d'elle.»
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