Menu
Libération
Deuxième tour

Municipales : à Crest, la gauche fait l'union contre le baron Mariton

Toujours réélu au premier tour depuis 1995, l'ancien député de la Drôme, éphémère ministre de Jacques Chirac, se retrouve pour la première fois en ballottage défavorable face à une gauche unie contre lui.
Hervé Mariton, en 2015. (Albert FACELLY/Photo Albert Facelly pour Lbération)
publié le 6 juin 2020 à 9h14

Pas rancunier, Hervé Mariton ? Pour disserter sur la campagne municipale, il a donné rendez-vous dans un restaurant appartenant à un adversaire politique, l'un de ceux à qui il avait fait mordre la poussière en 2014. Pas rancunier… ou plutôt facétieux, lui qui propose une rencontre là même où l'opposition tiendra, quelques heures plus tard, sa conférence de presse pour dévoiler la liste qui affrontera le maire sortant le 28 juin. Entre deux bouchées de son assiette végétarienne, il évoque pêle-mêle son amour de la langue russe et de Soljenitsyne, sa tentative avortée de concourir à la primaire présidentielle de la droite en 2016 et son retrait définitif de la vie politique nationale, le confinement qui lui a permis de relire Proust… Et la «relation charnelle» que ce fils d'une mère juive d'Algérie et d'un père commerçant de Valence entretient avec la petite ville de Crest, 8 500 habitants aux portes de la vallée de la Drôme, dont il préside les destinées depuis quatre mandatures. Sauf qu'après vingt-cinq ans de vie commune, la bien-aimée semble aujourd'hui réticente à poursuivre l'aventure.

Le 15 mars, l'édile a obtenu 43% des voix, treize de moins qu'en 2014, face à deux listes d'opposition qui ont annoncé dès le soir du premier tour qu'elles unissaient leurs forces pour détrôner le baron. D'un côté, une liste participative qui a décroché 35% des suffrages ; de l'autre, une liste de gauche dont le binôme de tête siège dans l'opposition actuelle, et qui a obtenu 21% des voix. Jamais auparavant, sauf lors de sa première élection en 1995, Hervé Mariton n'avait obtenu moins de 50% des suffrages exprimés au premier tour du scrutin. Résultat : une opposition gonflée à bloc et une liste fusionnée, «Ensemble réinventons Crest», qui compte notamment en son sein des militants de gauche, depuis le PS jusqu'à La France insoumise en passant par les écolos et les communistes, mais qui est majoritairement constituée de candidats de la liste citoyenne, avec à sa tête René-Pierre Halter, qui deviendra maire en cas de victoire.

«Chape de plomb»

Avec sa binôme Dominique Marcon et les deux têtes de la liste de gauche, Samuel Arnaud (premier secrétaire du PS dans la Drôme) et Hélène Bertau, ils constituent le quatuor qui coordonne l'équipe aspirant à la mairie. «Tromperie sur la marchandise !», s'étouffe le maire sortant qui voit dans l'union des oppositions, partisane et citoyenne, une «coalition d'appareils qui propose une vision très idéologique de ce qu'ils estiment être bien pour la ville de Crest». L'accusation fait pouffer de rire ses adversaires. «Pendant vingt-cinq ans, Hervé Mariton n'a eu aucune vision d'ensemble pour la ville», laisse échapper René-Pierre Halter. «Le seul mantra, c'était de ne pas augmenter les impôts», ajoute Dominique Marcon qui déplore «une ville très endettée, qui a bénéficié de très peu de subventions d'investissements».

L'opposition évoque une «chape de plomb» posée sur la ville par un maire autoritaire, et met en avant les projets ratés, comme celui coûteux (finalement remisé dans les cartons) de centre aquatique voulu par Hervé Mariton mais retoqué par la communauté de communes, au sein de laquelle le maire de Crest a vu ses soutiens s'étioler. «Ce n'est pas le moment de disserter sur l'interco, vous m'excuserez, je dois faire en sorte que les services à la population soient rendus», balaie d'un revers de la main Hervé Mariton, droit dans ses bottes de maire. Depuis le déconfinement et face à la crise, l'édile de Crest s'est activé – interventions vidéo régulières sur Facebook, annonces de soutien aux commerçants – un peu trop pour l'opposition, qui dénonce un mélange de casquettes entre candidat et maire sortant.

«Tombola»

«Pour soutenir les commerçants, il a mis en place une tombola, typiquement le genre de mesure qui n'apporte rien à long terme», estime le quatuor de l'opposition qui assure vouloir «jouer un rôle de coordinateurs pour revitaliser le centre-ville». «Mais nous n'avons pas la même méthode que nos voisins à Saillans [ce gros village de la Drôme qui a expérimenté de 2014 à cette année une gestion municipale participative, ndlr], précise René-Pierre Halter. Dans une ville de 9 000 habitants, on ne va pas décider tous ensemble de tout, mais plutôt utiliser la force des services de la mairie et mettre en place, autour des élus, des commissions pour faire participer les citoyens.» Une méthode dans l'air du temps, qui a séduit une frange de l'électorat d'une ville qui se transforme, notamment avec l'arrivée croissante de néoruraux.

Hervé Mariton le reconnaît : «Nos résultats du premier tour s'expliquent en partie par l'abstention liée au Covid, mais aussi par l'évolution de la sociologie de la ville, les effets du temps aussi…» Mais ne lui parlez pas d'usure : «Mon équipe démontre une capacité d'innovation, quant à moi j'essaie d'être une machine à idées.» Et d'évoquer la médiathèque, «une de mes grandes fiertés de l'action municipale, et l'hôpital neuf qui n'aurait pas vu le jour si je n'avais pas été maire de Crest». A trois semaines du second tour, Hervé Mariton veut se montrer au-dessus d'une politique partisane qu'il abandonnerait volontiers à ses opposants, mais tout n'est pas si simple. «On le sent beaucoup moins serein depuis quelques semaines», remarque un spécialiste de la faune politique locale. Hervé Mariton, lui, botte en touche. «Si je ne faisais pas de politique, je ferais rabbin», laisse-t-il tomber tout à trac. Pour l'heure, il fait surtout campagne, pour une réélection – sa dernière, a-t-il promis comme un ultime argument de campagne – qui s'annonce beaucoup plus incertaine que prévu.