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Municipales

Les gardes du corps d’Anne Hidalgo à la manœuvre pour garder Paris

La maire sortante s'est appuyée sur quelques-uns de ses adjoints, dont Emmanuel Grégoire, le premier d'entre eux, et Jean-Louis Missika, en charge de l'urbanisme.
Anne Hidalgo avec Emmanuel Grégoire, son premier adjoint, lors de son meeting de campagne le 27 février à l'Elysée-Montmartre. (Marc CHAUMEIL/Photo Marc Chaumeil pour Libération )
publié le 24 juin 2020 à 10h59

Libé raconte la campagne au travers des entourages des candidats à la mairie de Paris. Les «camps», les «proches», qui font aussi une élection.

Un jeune communiste et un conseiller de l'ère Delanoë, aux penchants macronistes assumés, au milieu d'une nuée de journalistes. La scène, qui se déroule fin février, juste avant le meeting d'Anne Hidalgo au Trianon, résume bien la campagne de la maire sortante. A Paris, elle a réussi à unir la gauche : des communistes, dont Ian Brossat, des socialistes et apparentés, dont Jean-Louis Missika, de la société civile et à la fin, pour le second tour, des écolos en plus.

Tout au long de la bataille, à la fin des conférences de presse thématiques quasi quotidiennes ou avant les réunions publiques, elle a envoyé ses adjoints au front se faire assaillir de questions. «Elle n'aime pas qu'on l'interroge sur des sujets qu'elle n'a pas préparés donc on joue ses gardes du corps», expliquait l'un d'entre eux. Dans l'équipe de sécurité : Ian Brossat et Jean Louis Missika donc, respectivement adjoints au logement et à l'urbanisme, mais aussi Rémi Feraud, président du groupe socialiste au Conseil de Paris, et Emmanuel Grégoire, premier adjoint. «L'équipe s'est montée au deuxième semestre 2018, quand les pronostics n'étaient pas très encourageants», se rappelle-t-il. A l'époque, les «fiascos» Autolib et Vélib collaient à la peau de la maire et LREM était promise à un avenir radieux. Aujourd'hui, les marcheurs parisiens, qui ont changé deux fois de candidat et enchaîné les erreurs, n'y croient plus, et Anne Hidalgo, alliée aux écolos, a toutes les chances de l'emporter. Le résultat d'une campagne éclair, lancée en février mais préparée bien en amont par ses proches, pendant qu'elle se concentrait sur la fin de son mandat.

Militant socialiste dans le XIIe depuis le début des années 2000, chef de cabinet de Delanoë entre 2009 et 2012, membre de l'exécutif parisien depuis 2014 et premier adjoint d'Hidalgo depuis 2018, Emmanuel Grégoire a été omniprésent dès que la machine s'est mise en marche. C'est lui qui s'est attelé à la composition des listes avec Rémi Féraud, qui pansait les plaies des militants socialistes écartés pour faire de la place à la société civile. Les proches de la maire pensent qu'il faut élargir : l'union de la gauche oui, mais l'étiquette PS non. Ils jugent que ce n'est pas avec un logo qu'on gagne des municipales, à Paris ou ailleurs, qu'on soit socialiste ou autre ; réfléchissent à de nouvelles formes d'organisation et d'engagement qui puissent attirer des non-encartés ; et veulent tout miser sur le local.

«On ne veut pas nationaliser, on n'est plus dans le modèle où des ténors venaient adouber des candidats locaux, analysait Emmanuel Grégoire. Que ce soit Hollande, Royal, Cazeneuve… Ce sont des soutiens qu'on prend avec plaisir mais on n'en a pas besoin. Féraud, moi… Ce sont nous les poids lourds, les gens qui comptent, c'est nous.» Tellement qu'il devrait être renommé premier adjoint et voit même encore plus loin. En février, dans le Monde, il a admis «avoir envie» et «ne pas s'interdire d'envisager» la mairie de Paris le jour où Anne Hidalgo voudra passer la main. En 2026, si elle va au bout de son mandat, ou avant si elle quitte l'hôtel de ville pour une trajectoire nationale, comme certains autour d'elle l'imaginent. «Ils la voient déjà à la présidentielle, et ils veulent une photo avec Brossat et Villani, une aile gauche, une aile droite et elle au centre», racontait un villaniste à quelques jours du dépôt des listes pour le second tour, juste avant que les discussions entre le camp de la maire sortante et celui du mathématicien n'échouent finalement.

L’homme du premier cercle

Un autre homme est essentiel dans le dispositif d'Anne Hidalgo. «Feraud, Brossat, même Grégoire, c'est le premier cercle et demi. Le premier cercle, c'est Missika», juge un socialiste parisien. Jean-Louis Missika, 69 ans, n'est ni un professionnel de la politique ni un militant. Du genre mal à l'aise dans la rigidité idéologique des partis. Depuis trente ans, il fraye tout de même dans les milieux de la gauche, plus libérale que révolutionnaire. En 2017, il a d'ailleurs soutenu Emmanuel Macron.

Prof de sociologie des médias à Sciences-Po depuis 1984, il a travaillé à l'Ina, dirigé les institutions de sondage BVA et Sofres, créé sa société de consultants, été membre du comité d'investissement d'Axa Private Equity et vice-président d'Iliad, le groupe de télécoms de Xavier Niel, dont il est proche. Ce n'est qu'en 2008, lors des municipales, qu'il se frotte au combat électoral en se présentant dans le XIIe, sur une liste Delanoë. Elu, le socialiste en fera son adjoint, comme Anne Hidalgo en 2014. A la tête de l'urbanisme, il a l'un des plus gros portefeuilles. Et avec la maire, les habitudes des proches, entre dans son bureau sans frapper, déambule à l'aise.

Beaucoup d'élus ont leur petite histoire qui illustre le poids de Missika : une réunion où il dit devant les adjoints en charge du sujet discuté que la décision est déjà prise ou un arbitrage qu'il a gagné, seul contre plusieurs. Pendant la campagne, il a beaucoup travaillé sur le projet. La vision urbaine portée par Hidalgo, c'est la sienne. Dit simplement : construire là où c'est encore possible à Paris pour créer du logement et ne pas accentuer l'étalement urbain. Autrement dit : l'inverse de la vision des écolos, qui jugent la ville déjà trop dense. Pendant la campagne, pour marquer leur différence avec la maire sortante, ils ont insisté sur le sujet. Et le nom de Missika revenait souvent. «Missika, c'est l'urbanisme à la papa. Bercy-Charenton, c'est lui», affirmait ainsi Anne Souyris, candidate dans le XIIIe, en référence à un projet de friche sur lequel les alliés du second tour sont en désaccord. «Mon vrai adversaire, c'est Missika. L'urbanisme, c'est lui, l'influence du privé, c'est lui», déplorait Jérôme Gleizes, candidat dans le XXe issu des rangs EE-LV.

Jeunes hussards et vieux briscards

Danielle Simonnet, conseillère de Paris et cheffe de file de La France insoumise pour l'élection, dénonce elle aussi la place du privé dans la gestion de la ville, «sous l'influence de Missika». Toujours les «c'est lui» : «Funecap, c'est lui ; Rosa-Parks, c'est lui ; la Station F, c'est lui.» Soit la décision de confier la concession du crématorium du Père-Lachaise à une société privée, le quartier sorti de terre dans le XIXe et abritant des logements sociaux en mauvais état selon Simonnet, et le campus de start-up de Xavier Niel. «Jean-Louis ne s'émeut pas des critiques de la gauche, il a l'habitude. Son indépendance d'esprit est précieuse. Il ne s'en cache pas, il est comme ça auprès d'Anne», affirme Emmanuel Grégoire. Comme ça ? «Proche de Macron. Mais il est d'une fidélité absolue à la maire.»

De son côté, l'exécutif parisien assume de travailler avec le privé. Estime qu'il faut bien faire rentrer de l'argent dans les caisses, notamment pour faire du logement social. «Ian Brossat n'a mené aucune bataille contre Missika. C'est la caution communiste de la majorité», râle Danielle Simonnet. Emmanuel Grégoire voit les choses autrement : «Anne a réussi à créer une alchimie entre les jeunes hussards et les vieux briscards. C'est elle qui fait la synthèse.»