C’est toujours la même histoire : verre à moitié plein ou verre à moitié vide ? Tout est une question de perspective. Interrogé par Libération sur le second tour des municipales, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, préfère parler de «succès en demi-teinte». Dimanche soir, après un discours à la limite du triomphalisme, il est allé fêter la reconquête de Villejuif (Val-de-Marne), perdue en 2014 face à la droite et reprise cette fois par une liste d’union de la gauche emmenée par un communiste. Preuve que si le PCF perd des fiefs dans sa banlieue rouge, il sait aussi les regagner.
En revanche, le patron des communistes ne s'est pas rendu au siège de la fédération du Val-de-Marne, où l'ambiance était sans doute moins gaie. Dans le département, le parti perd quatre villes de plus 10 000 habitants, dont Champigny-sur-Marne, la ville de Georges Marchais. Un cadre communiste de la banlieue parisienne l'a un peu mauvaise : «Au lieu de faire front avec tout le monde, Fabien Roussel cherche à organiser une narration dans laquelle il n'y a pas de défaite.» Le problème, selon lui, c'est que quand on refuse de reconnaître une défaite, il devient difficile d'en tirer des conclusions.
Solde négatif
Les raisons de se réjouir existent pourtant bel et bien pour le PCF. Le nombre de ses élus va même augmenter par rapport à 2014. «C'est la première fois depuis longtemps qu'on ne perd pas de terrain», se félicite Pierre Lacaze, responsable des élections pour le parti. Alors qu'aux dernières municipales, une cinquantaine de villes de plus de 3 500 habitants sortaient du giron communiste, en 2020, le PCF recense six victoires dans la même catégorie. Sans compter les 233 communes remportées dès le premier tour et l'influence nouvelle dans les métropoles : les unions à gauche (surtout avec les écolos) dans les grandes villes ayant été plus nombreuses qu'en 2014, les rouges récoltent naturellement les fruits de la poussée verte. A Poitiers, Bordeaux, Lyon, Besançon et peut-être Marseille, les communistes vont participer aux majorités municipales et métropolitaines. A Nancy et Strasbourg, ils auront des adjoints. Le succès dans les grandes villes permet de compenser certaines défaites. «Dans l'Héraut, nous perdons deux communes mais comme nous avons réalisé plus d'accords avec les autres partis, notamment à Montpellier, le bilan est positif», soupèse le monsieur Elections du PCF. Qui rappelle aussi de «belles victoires», comme à Bobigny, Noisy-le-Sec (en Seine-Saint-Denis) mais surtout Corbeil-Essonnes (Essonne), perdue face à Serge Dassault en 1995, où la cinquième candidature a été la bonne pour Bruno Piriou.
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Mais il y a le verre à moitié vide, aussi. Le PCF perd quinze villes de plus de 10 000 habitants et n'en gagne que neuf. Le solde est négatif. En plus des défaites retentissantes en banlieue parisienne (Saint-Denis, Aubervilliers), les communistes s'inclinent à Arles et Gardanne (Bouches-du-Rhône), à Givors en banlieue lyonnaise, à Fontaine (Isère) ou encore à Saint-Pierre-des-Corps, à côté de Tours. Sur ces trois dernières villes, le constat est plutôt cruel pour les communistes : alors qu'ils l'emportent dans les villes centres avec les écologistes, ils reculent dans les banlieues populaires. A Saint-Pierre-des-Corps, la défaite est d'autant plus symbolique que la ville était aux mains du PCF depuis en 1920 au Congrès de Tours. «Dimanche soir j'ai pris un immeuble de vingt étages sur la tête», soupire Michel Soulas, candidat PCF malheureux dans la ville de 15 000 habitants. Il refuse porter le chapeau tout seul. Dans sa ville, voilà des années que la peinture rouge s'écaille. Depuis 1973, le PCF ne gagne plus sans les socialistes. Et puis, «Marie-France Beaufils [maire PCF sortante, élue depuis 1983, ndlr] était une figure, elle captait les voix au-delà de la gauche, explique-t-il. On s'est parfois caché derrière elle en pensant que c'était le score des communistes, alors que c'était le sien.» Preuve de l'érosion : aux dernières européennes, la liste de Ian Brossat (PCF) n'a récolté que 9% des voix dans la ville.
«Désunion» et «affaiblissement»
On résume : le parti de Fabien Roussel progresse grâce à l’union des gauches et surtout à la faveur de la vague verte. Ce qui permet tant bien que mal de contrebalancer ses défaites, souvent lorsqu’il est seul ou à la tête de l’union des gauches. «Il y a une certaine ironie là-dedans, souligne un cadre du parti. La nouvelle direction du PCF a été élue sur la promesse de redonner son identité au parti, en présentant des candidats étiquetés communistes au plus grand nombre d’élections possibles – européennes, régionales et même présidentielle. Et pourtant, c’est uniquement grâce aux listes d’union que la défaite du PCF n’éclate pas au grand jour.» Fabien Roussel ne fanfaronne pas non plus : «Nous perdons des villes à cause des désunions de la gauche, reconnaît-il. Mais aussi, parfois, à cause d’un affaiblissement de nos forces.» En toile de fond : l’abstention, massive, qui a certes affecté tous les électorats, mais sans doute, en premier lieu celui des communistes. «Quand on fait 80% dans un bureau de vote, mais que seulement 80 personnes vont voter, on perd à tous les coups», calcule un cadre. Sur ce point, la défaite dimanche soir de Jean-Paul Lecoq au Havre peut servir de cas d’école. Alors que le Premier ministre réalisait ses meilleurs scores dans les bureaux du centre-ville, où la participation était la plus élevée, le candidat PCF l’emportait là où l’abstention était la plus massive. Et la balance a fini naturellement par pencher du côté d’Edouard Philippe. Ce chantier de l’abstention, Fabien Roussel promet de s’y atteler au plus vite. En écoutant les gens, en portant leur colère et, surtout, en leur redonnant espoir. Il ajoute : «C’est facile à dire, mais maintenant il faut le faire.»