Il y a ceux qui aiment et ceux qui détestent. Mais l’ex-Premier ministre d’Emmanuel Macron laisse rarement indifférent, dans les rues du Havre où Libération s’est promené samedi après-midi. Edouard Philippe devrait sans aucun doute être élu maire de la ville portuaire lors du conseil municipal qui se tiendra dimanche matin, à l’hôtel de ville. Le 28 juin, il l’a emporté avec 59% des voix face au député communiste Jean-Paul Lecoq. L’ancien locataire de Matignon, démissionnaire vendredi, s’apprête à retrouver le siège qu’il a occupé entre 2010 et 2017.
Terreau fertile en chefs de l’Etat
A l'extérieur de l'hôtel de ville en béton, Stéphanie, 42 ans, prend un air mauvais au son du nom de son futur maire. Elle s'en veut un peu de ne pas être allée voter dimanche mais, se défend-elle, jamais elle n'aurait imaginé que l'ancien maire repasserait. «Tous ceux qui vivent à la plage sont allés voter», lâche-t-elle pour expliquer la défaite de Jean-Paul Lecoq. La plage ? Les quartiers du centre-ville qui donnent sur l'océan, l'électorat bourgeois d'Edouard Philippe, qui s'est mobilisé au second tour. Dans les deux bureaux de vote de la mairie, par exemple, la participation a dépassé les 50% et le score de l'ex-Premier ministre, les 70%.
Un peu plus loin aux halles couvertes où Edouard Philippe aime faire ses courses quand il est Havrais, autre son de cloche. «C'est monsieur Tout-le-Monde, il va faire ses courses lui-même puis il s'assied pour boire un coup», vante Franck, boucher de 56 ans qui «ne fait pas de politique». Mais espère le revoir «plus haut» car «il en a l'étoffe». La ville a été pendant longtemps un terreau fertile en chefs de l'Etat, rappelle le commerçant, qui se met à égrener les noms des grands habitants du Havre de l'histoire : Félix Faure, René Coty… Et même de Gaulle, dont les parents ont vécu à Sainte-Adresse, en banlieue de la ville. Moins porté sur l'histoire, Michel, 52 ans, polo remonté et mocassins sans chaussettes, se demande si Edouard Philippe n'a pas quitté le navire «pour éviter d'assister à la défaite de Macron en 2022». Lui ne s'est pas déplacé la semaine dernière, mais il aurait voté Philippe («d'autres l'ont fait pour moi, donc tout va bien», s'amuse-t-il). Il est content de voir revenir le successeur d'Antoine Rufenacht au Havre – l'homme qui a arraché la ville à trente ans de communisme. «Je pense qu'il va se reposer, prédit Michel, il va prendre un bon bol d'air… avant de repartir, peut-être ?»
«Il a raison de redevenir maire pour repartir»
Rien de tel que l'air de l'océan pour se refaire une santé. Sur les quais devant la plage de galets, des jeunes font du skateboard, des vieux jouent à la pétanque, des familles mangent des glaces ou des moules-frites. Au loin, la silhouette des porte-conteneurs se dessine sur l'eau grise. C'est là qu'Edouard Philippe va courir le dimanche matin. On croise une partisane de la mairie actuelle, encore dirigée par Jean-Baptiste Gastinne. «Attention, il faut bien faire la différence entre le Premier ministre et le maire du Havre, avertit-elle. Comme maire, il est super – et je ne commente pas son action à la tête de l'Etat.» Pendant la campagne, la nuance était moins marquée. La liste de Jean-Paul Lecoq appelait à faire perdre «l'homme du 49.3» et Edouard Philippe jouissait de son regain de popularité dû à la gestion du confinement.
Retour devant l’hôtel de ville. Quelques irréductibles gilets jaunes distribuent des tracts et discutent. Histoire de garder le lien, explique un ancien syndicaliste. Deux d’entre eux se sont investis dans la campagne de Lecoq – «un mec bien, pas du genre communiste sectaire». Philippe ? «Même s’il est sympa avec sa barbe et son humour anglais, ça reste la vraie droite», assène l’un d’entre eux. Ses ambitions ? «Jamais aucun Premier ministre en exercice n’a été élu président de la République, lance son compère. Il a raison de redevenir maire pour repartir.» Eux sont déterminés à lui pourrir la vie comme édile, en appuyant de l’extérieur les douze élus d’opposition qui vont siéger au conseil municipal. Et, pourquoi pas, en allant crier devant la mairie, comme le soir de l’élection, pour rappeler à Edouard Philippe qu’ils sont toujours là.