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Libération
Promesses de campagne

Décentralisation : les régions attendent Emmanuel Macron au tournant

Promis depuis 2017, le «pacte girondin», qui doit donner plus d'autonomie aux collectivités territoriales, n'a jamais vraiment vu le jour. Les présidents de régions attendent beaucoup du prochain discours d'Emmanuel Macron, le 14 juillet. Libération en a interrogé trois.
Emmanuel Macron, lors d'un déplacement au Guilvinec (Finistère), le 21 juin 2018. (Albert FACELLY/Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 13 juillet 2020 à 16h34

Il n'est jamais trop tard pour réaliser ses promesses de campagne. Même trois ans après. Depuis la crise du Covid et le déconfinement, Emmanuel Macron a renoué avec la petite musique du «pacte girondin», qu'il avait beaucoup mis en avant pendant la présidentielle. La décentralisation pourrait figurer au menu de son interview du 14 juillet. «Tout ne peut pas être décidé si souvent à Paris […] Libérons la créativité et l'énergie du terrain, s'était enflammé le chef de l'Etat lors de sa dernière allocution télévisée, mi-juin. Je veux ouvrir pour notre pays une page nouvelle donnant des libertés et des responsabilités inédites à ceux qui agissent au plus près de nos vies, libertés et responsabilités pour nos hôpitaux, nos universités, nos entrepreneurs, nos maires et beaucoup d'autres acteurs essentiels.»

Sollicité, comme les présidents de l'Assemblée et du Conseil économique, social et environnemental (Cese), le président du Sénat, Gérard Larcher, a rendu début juillet «50 propositions pour le plein exercice des libertés locales », fournissant à l'exécutif une base de travail dont le futur projet de loi «3D» (décentralisation, déconcentration, différenciation) a été remisé pour cause d'épidémie de coronavirus. «La crise a montré que les thématiques de ce texte sont d'actualité», a assuré la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités, Jacqueline Gourault, auditionnée à l'Assemblée mi-mai.

Des collectivités plus agiles que l’Etat

Depuis, la nomination de Jean Castex, maire et conseiller territorial, à Matignon, a relancé l'idée d'un fort tropisme décentralisation du nouveau gouvernement. En tout cas, c'est ce qu'ont fait mine de croire les représentants des principales collectivités territoriales réunis au Sénat mercredi dernier pour une conférence de presse. Aux côtés de Gérard Larcher, Dominique Bussereau (Assemblée des départements de France) et Renaud Muselier (Régions de France), François Baroin (Association des maires de France) a appelé l'exécutif à «un choc culturel». «La crise nous amène à faire des revendications, a estimé François Baroin. Nous avons senti un intérêt chez le chef de l'Etat.» Le patron de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Renaud Muselier, trouve aussi le moment idéal pour remettre la décentralisation sur le métier : «Le remaniement permet aux territoires de rappeler ce que nous proposons : qu'Emmanuel Macron s'en saisisse, c'est dans son intérêt.» De fait, pendant la crise du Covid-19, les collectivités territoriales ont souvent paru plus agiles et plus réactives que l'Etat central, notamment pour fournir des masques à la population. Les régions font donc front commun pour réclamer plus de pouvoir sur la gestion des agences régionales de santé (ARS).

Problème : parmi les présidents de région, se cachent potentiellement plusieurs adversaires pour 2022. D'où les frictions sur un possible report des élections régionales, prévues en 2021, racontée par Libération. L'idée était de repousser le scrutin après la présidentielle pour que la relance économique et la réforme territoriale ne soient pas parasitées par la campagne des régionales – ni par les prétentions présidentielles de Valérie Pécresse et Xavier Bertrand. Mercredi dernier, Renaud Muselier a juré la main sur le cœur qu'il n'était plus question de ce report, s'alignant sur la position des autres collectivités locales. En attendant l'intervention présidentielle de mardi, Libération a demandé à trois présidents de région ce qu'ils souhaitent obtenir de ce grand retour de la décentralisation.

Carole Delga, présidente (PS) de la région Occitanie

«Je n’attends pas un énième acte de la décentralisation mais un nouveau rapport avec l’Etat central. Qu’il se concentre sur ses activités régaliennes : sécurité, diplomatie, égalité des chances, monnaie etc., et qu’il nous délègue le reste. Sur le développement économique, les régions doivent être cheffes de fil. Prenons l’exemple des transports. Quand j’ai besoin de mettre en place des lignes d’autocars avec des voies réservées, je dois négocier avec trois acteurs différents : l’Etat (via la SNCF), le département, les agglomérations et les villes. C’est ubuesque mais c’est la réalité de la France : l’émiettement complet. Il faut une structure regroupant tous les acteurs (financeurs, propriétaires) des transports qui puissent décider des investissements sur un bassin de vie. Cela pourrait prendre la forme d’un syndicat mixte dont la région prendrait la tête.

«Le 14 juillet, je pense hélas que je vais être déçue. Voilà trois ans que le président de la République recentralise. Par exemple, la loi sur l’apprentissage nous a retiré des compétences. Dès que nous prenons des initiatives, nous sommes entravés : à chaque fois, il faut demander des autorisations aux administrations centrales, à Bercy. Nous sommes sous tutelle : nous dépendons à 92% des dotations, c’est-à-dire que nous pouvons perdre des recettes d’une année sur l’autre. En Occitanie, nous avons perdu par exemple 70 millions d’euros entre 2017 et 2018, alors que nous avons engagé des chantiers sur plusieurs années. Donc on demande que les dotations soient garanties, ce qui est du bon sens populaire. Car nous, nous sommes à portée d’engueulade. Pas l’Etat.»

Alain Rousset, président (PS) de la région Nouvelle Aquitaine

«Je demande un vrai saut de compétences, comme partout en Europe. Que la région ait la compétence sur les bâtiments scolaires seulement, n'a pas de sens. Même si l'Etat doit garder la main sur les diplômes, nous devons aussi pouvoir recruter des professeurs. Regardez les résultats de la France au classement Pisa : ils sont très mauvais. Lorsque les régions ont repris les lycées dans les années 1980, les bâtiments étaient dans un état pitoyable – c'est la même chose pour le pédagogique. C'est d'ailleurs comme cela que fonctionnent la plupart des régions en Europe.

«Sur le développement économique, c’est la même chose : nous sommes des nains à côté des Länder allemands ou des provinces italiennes. La Nouvelle Aquitaine a un budget de 500 millions d’euros par an pour le développement économique et la recherche : c’est trop peu. Nous accompagnons 2 500 entreprises chaque année, c’est nous qui connaissons le mieux le tissu économique car les PME et les établissements de taille intermédiaires sont sous les radars de Bercy. Il faudrait régionaliser les fonds propres et l’épargne.

«Pour le discours du 14 juillet et la décentralisation promise par le chef de l’Etat, je suis comme Saint-Thomas : j’attends de voir pour croire. Mais l’enjeu est essentiel : la démocratie a besoin de se ressourcer dans la proximité. Aujourd’hui, le centralisme est inefficace et coûteux. Il n’empêche pas le clientélisme (il y a des lobbies à Bercy) et ne garantit pas l’égalité (regardez la déprise dans les territoires ruraux). La notion d’égalité demande de la différentiation.»

Loïg Chesnais-Girard, président (PS) de la région Bretagne

«Ce que j’espère, c’est que nous nous installions enfin dans une relation de confiance, où l’Etat ne se croit pas meilleur que les collectivités, ni inversement. Il faut un changement de mentalité des deux côtés. Sur le fond, il y a des revendications communes à toutes les régions, par exemple sur l’autonomie financière. Nos budgets sont encore trop dépendants de l’Etat et de ses dotations et nos fiscalités propres sont trop ringardes – par exemple, nous touchons de l’argent sur les cartes grises des véhicules à essence alors que nous cherchons précisément à réduire leur nombre. Quand Valérie Pécresse menace l’Etat de ne plus payer la SNCF et la RATP, cela montre bien sa dépendance. Après, chaque région a sa particularité. C’est pourquoi je milite pour la différentiation.

«Par exemple, moi, je demande la régionalisation de la politique agricole commune (PAC) car je considère que je connais mieux le sujet que l’Etat. L’agriculture bretonne n’a rien à voir avec les champs de céréales de Xavier Bertrand (Hauts-de-France) ou les vignes d’Alain Rousset (Nouvelle Aquitaine). Dans l’ancien monde, l’Etat aurait demandé aux régions de se mettre d’accord entre elles sur le sujet mais la différentiation doit permettre à chacun de choisir les compétences qui lui permettent d’être le plus efficace possible. Autre exemple qui n’a l’air de rien mais qui est à mon sens révélateur. Comme président de région, je suis propriétaire des bâtiments des lycées et employeur des personnels de cuisine. Mais c’est l’Education nationale qui emploie le gestionnaire du lycée – celui qui s’occupe des commandes pour les cantines. Et comme il y a de moins en moins de postes de fonctionnaires, il est souvent débordé et privilégie les centrales d’achat. Je ne peux donc pas mener de politique d’approvisionnement en circuit court dans les lycées. C’est dommage.

«Pour le discours du 14 juillet, j’ai peur que nous rentrions dans le piège du débat des compétences entre les collectivités. Si on se lance là-dedans, il n’en ressortira que de l’eau tiède. Le vrai sujet, c’est la relation entre l’Etat et les collectivités. Il faut tordre le cou à la rumeur qui veut que les élus locaux sont plus enclins au clientélisme. Nous, nous sommes à portée de baffes : si une usine de 200 personnes ferme sur notre territoire, le président de région va pouvoir gérer ça dans la semaine, comme une urgence. L’Etat, lui, va faire traiter cela dans ses administrations centrales.»