Ecouler les stocks de denrées alimentaires accumulés pendant le confinement et faciliter la vie aux petites entreprises de BTP ainsi qu'aux collectivités locales : c'est l'objectif du décret publié ce jeudi par le gouvernement au Journal officiel. Elaboré par le cabinet de ministre déléguée à l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher, il n'a pourtant pas grand-chose à voir avec la relocalisation de la production, dont toute la majorité parle depuis que l'épidémie de coronavirus a mis au jour les angles morts de l'industrie française. En revanche, la mesure relève temporairement les seuils en dessous desquels il n'est pas nécessaire de passer un appel d'offres pour attribuer un marché public dans les deux secteurs concernés (l'alimentation et les travaux publics). De 40 000 euros, ils passent respectivement à 100 000 euros, jusqu'au 10 décembre 2020, pour les marchés de denrées alimentaires et 70 000 euros jusqu'au 10 juillet 2021 pour ceux qui concernent les travaux.
«Se saisir de cette simplification»
Vu les montants, il n'y a pas de quoi révolutionner le secteur du bâtiment, selon Laurent Frölich, avocat spécialisé dans le droit de la commande publique. «Cela va concerner des petites voiries, des aménagements légers, pas la construction d'un collège dans un département», relativise-t-il. Mais la mesure aura le mérite de favoriser «la petite entreprise locale qui n'a pas l'habitude de répondre à un appel d'offres parce que c'est trop compliqué». Sans compter les petits élus qui pourront se passer d'un certain nombre de procédures administratives et de la paperasse consécutive.
En revanche, pour l'alimentation, 100 000 euros constituent une somme plutôt rondelette, estime l'avocat. Sur ce point, le décret a un objectif précis : faciliter les commandes de denrées alimentaires «produites, transformées et stockées avant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire [le 10 juillet, ndlr]», précise le texte. En clair : écouler les montagnes de nourriture accumulées pendant le confinement, alors que cantines et restaurants étaient portes closes. Dès le 30 avril, quelque 70 députés de la majorité avaient alerté dans une tribune sur le gaspillage alimentaire et les difficultés engendrées par la crise dans le monde agricole. Parmi les signataires, la députée LREM de Vendée Martine Leguille-Balloy, s'alarmait il y a peu auprès de Libération au sujet de «milliers de tonnes de canard congelé ou de fromage AOP qu'il [allait] peut-être falloir jeter». Elle se réjouit aujourd'hui de la «réactivité» du gouvernement sur le sujet, tout comme son collègue Didier Le Gac, député du Finistère, qui appelle les collectivités locales «à se saisir de cette simplification pour accélérer leur commande publique et participer ainsi à la relance».
Recul de la transparence
Mais quelques dents n'ont pas manqué de grincer devant ce qui peut s'apparenter à un recul de la transparence dans les marchés publics. «Le message envoyé par le gouvernement aux collectivités locales, c'est "Faites ce que vous voulez en dessous d'un certain seuil"», déplore Kévin Gernier, chargé de mission à Transparency International. A Martine Leguille-Balloy qui prend soin de préciser qu'il s'agit de «mesures provisoires qui sont exceptionnelles», Kévin Gernier oppose «une stratégie des petits pas» de la part du gouvernement dont le but serait de «profiter de l'urgence pour faire passer des mesures qui s'inscrivent dans la durée». De fait, ce n'est pas la première fois que le seuil des marchés publics augmente. Déjà, en décembre, il était passé de 25 000 à 40 000 euros, avec comme conséquence des appels d'offres publics en moins. Et le risque que certaines collectivités ne cèdent plus facilement aux sirènes du favoritisme. «Le préfet veillera de plus près à ce que les principes de la commande publique soient respectés», tempère de son côté l'avocat Laurent Frölich.
Si elles peuvent faciliter la vie des PME et des collectivités locales, ces mesures ne sont pas de taille à lancer le moteur de la relocalisation. L'introduction d'un critère local, social ou environnemental dans les appels d'offres pour favoriser les entreprises françaises est pourtant un désir partagé par de nombreux politiques, de droite comme de gauche. Problème : c'est au niveau européen qu'il doit se négocier. Et occupé ces dernières semaines à ferrailler avec ses partenaires de l'UE au sujet du plan de relance, Emmanuel Macron est loin d'avoir mis le sujet sur la table…