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Libération
Le portrait

Françoise Cohen, il était une fois la dégringolade…

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Revenus ? 120F d’Assedic par jour. Téléphone ? Coupé. Vie ? Au bout du bout. Chronique d’un itinéraire de plus en plus fréquenté.
publié le 2 juillet 1996 à 8h46
(mis à jour le 2 juillet 1996 à 8h46)

C’est l’histoire d’une lettre adressée à «messieurs les journalistes». Echouée dans le casier d’un rédacteur en chef de Libération. «Messieurs, c’est complètement désespérée que je vous écris. J’ai ameuté la France entière sur mon cas, sans réponses, sans que personne ne remue le petit doigt, sans que personne ne s’y arrête un moment. Mon cas, qui est celui de milliers de femmes seules, n’intéresse personne. Tout le monde s’en fout. Je pourrais écrire dix pages, mais à quoi cela servira-t-il ? Je ne sais même pas si mon courrier sera lu.» Cinquante ans, trois enfants, 120 francs par jour d’Assedic, Françoise Cohen égrène un curriculum de chômeuse banalement au bout du bout. Post scriptum : «Je n’ai plus le téléphone depuis janvier 1995.» Le rédacteur en chef donne le courrier à un chef de service qui le donne à… qui assure l’expéditrice de sa profonde sympathie. Nouvelle lettre. «Merci infiniment pour votre réponse. Ayant écrit à quinze journaux différents, je tiens à m’excuser d’avoir envoyé des photocopies. Mon fils m’a dit que cela ne se faisait pas. Mais ne comptant sur aucune réponse, cela m’était égal. Pour vous, mille excuses.»

Est-ce le contraste entre la petite écriture bien sage et la révolte des mots bruts de décoffrage ? Ces lettres appellent confusément un visage, le désir de compléter le puzzle intime d’une femme enfouie parmi tant d’autres sous les statistiques du chômage. Nous voici devant une HL