Encombré de divans à fanfreluche et de guéridons croulant sous les
bibelots ou les corbeilles de fleurs en tissu, le salon évoque irrésistiblement une grande bonbonnière tout d'azur, de rose et de blanc, couleurs pastel qu'affectionne «Madame». Là, toujours droite malgré ses 83 ans, Matild Manukyan gère son empire. Entourée d'une secrétaire affairée et d'un intendant, couvée des yeux par une infirmière, elle y tient sa cour, le verbe haut et battant le sol de sa canne, recevant quémandeurs et obligés de ses multiples donations" Jamais la vieille femme n'a voulu quitter le grand appartement près de la mosquée de Sisli, au coeur de ce Passy décati d'Istanbul qu'affectionnèrent longtemps juifs, Grecs et Arméniens. Depuis lors, ceux-ci ont quitté les rives du Bosphore. Madame est restée. Ici, elle a entassé ses souvenirs. Des tableaux où elle trône dans la splendeur de sa jeunesse, épaules pulpeuses et cheveux de jais, posant près d'un piano. Partout des cadres avec des photos la montrant aux côtés de notabilités politiques ou financières. Des plaques commémoratives d'universités ou d'hôpitaux la remerciant pour ses dons généreux et une série de médailles dorées soigneusement alignées. Toutes honorent la première contribuable de Turquie. «Pendant huit ans d'affilée, j'ai battu le record des impôts puis le gouvernement a changé la loi car cela dérangeait trop de gens de me voir ainsi en tête du peloton», confie Madame avec un sourire.
Elle symbolise tout ce qu'exècrent les conserv