C'est un début d'après-midi frigorifique, prompt à transformer en
glaçon n'importe quelle conversation et même le silence, et ce jour-là, Bulle Ogier parle en marchant sur des oeufs, sans casser aucune coquille. C'est après une semi-nuit blanche, une nuit grise, quelques heures de sommeil seulement, et avant une représentation de Yvonne, princesse de Bourgogne, de Gombrowicz mise en scène par Yves Beaunesne. C'est donc un moment d'attente, la comédienne n'est pas entièrement là, et distraitement, elle relate des bribes de sa vie, en commençant par le début, ce qui n'est pas si facile parce que très vite, une partie des rencontres fondatrices, des gens salvateurs, sont des personnes décédées.
Bulle Ogier a une présence particulière faite d'absence. Ce n'est pas de la légèreté comme l'indiquerait son prénom singulier. Mais elle laisse envisager une disponibilité à d'autres mondes, à d'autres pensées que celles qui se disent ici et maintenant. Le metteur en scène Claude Régy, avec qui Bulle Ogier travaille à la fois régulièrement et rarement, le confirme avec beaucoup d'admiration: «Elle a une présence flottante qui n'est jamais recherchée, volontaire. C'est une force sans contour net. Une transparence avec un centre de gravité très fort. Je ne vois en elle aucun point d'opacité. Elle a ce don, sans parler, sans écrire, sans même jouer, de donner à voir l'invisible.»
L'actrice reprend le récit de sa vie, un peu en extériorité, comme si ce n'était pas la sienne, et de ses paroles