Un gros ordinateur envahit la cellule exiguë ouvrant sur une galerie
de bois sombre. Dehors, la façade de crépi blanc du monastère fait face à l'église surmontée d'une élégante coupole byzantine. Le Compaq du père Sava Janjic est désormais le plus souvent éteint. Les lignes de téléphone ont été détruites par la guerre et le monastère de Visoki-Decani, l'un des hauts lieux de l'orthodoxie serbe au Kosovo, ne communique plus que par radio.
Barbe rousse et lunettes rondes, le jeune moine à la haute silhouette voûtée a pendant deux ans veillé toutes les nuits «parce que les lignes sont meilleures» surfant sur la toile et envoyant des messages dans les cinq continents. Avec ses messages 754 entre juillet 1998 et mars 1999 il témoignait jour après jour des atrocités massacres d'Albanais ou enlèvements de Serbes critiquant les excès de la répression et l'aveuglement meurtrier du régime de Slobodan Milosevic qui nourrissait l'extrémisme albanais. Chaque jour, il recevait une centaine d'e-mails et parfois même le double quand les événements se précipitaient. Ses interlocuteurs étaient des responsables de l'OSCE, des hommes politiques occidentaux, des journalistes dont ceux de Libération, des religieux comme le cardinal de Vienne où l'évêque de Londres. «Beaucoup de gens au bout du monde savent ce que nous pensons mais ceux d'ici, qui vivent juste à côté ne le savent pas et le fossé est toujours plus profond», souligne sans illusion celui que les médias anglo-saxons ont surn