Rôder encore une fois entre les bobinoirs, les ballots, les machines. Humer le passé, l'aimer soudain: «Le pire, c'est que je vais regretter.» Annick était «Lainière» à Roubaix, vingt et un ans engloutis dans le vacarme et les vapeurs d'huile chaude. Elle pince un fil tendu sur un métier, caresse un écheveau, raconte le lin qui «polluait tout, on en avait jusqu'au fond de la gorge». Le Lycra, plus tard, si fin, impossible à faire tenir. Ce soir, un dernier «pot de l'amitié», et elle reprendra le bus sans retour des «filles du Pas-de-Calais». Roubaix-les mines, 55 kilomètres, «une heure le matin, une heure le soir», toutes ces années. Elle se trouble, se reprend: «Il y a plus malheureux.» Regrets? «Ouvrière, je le serai jamais plus. On est des moins-que-rien.» Plus de vie au minimum même plus garanti. Elle veut devenir aide-soignante. Oublier ses trois métiers d'un autre temps, «assemblage-bobinage-retorderie». Annick se tait, fixe un point de ses yeux clairs, passe une main dans ses cheveux longs, roux, sa fierté. «T'es jeune, tu t'en fous», lance une femme aux traits usés.
Elle a une voix rauque, cassée, il faut crier dans les filatures. L'accent du Nord pèse sur chaque mot et ils sont rares: «On en a eu, de rudes parties.» Phrases prêtes à porter espoir: «La vie elle continue, on va pas se tuer non plus.» Ici, les formules servent de discours. «La Lainière est une grande famille», disaient les «patrons». «Lainière vivra», écrivaient les grévistes sur la brique de l'usin