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Libération
Portrait

Joël-Peter Witkin, 60 ans, photographe américain. Compose son oeuvre en Frankenstein, à base de cadavres et de difformités. Du corps à l'outrage

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publié le 31 janvier 2000 à 21h34

Il magnifie les cadavres et cajole les monstres. Joël-Peter Witkin,

photographe renommé et coté (ses tirages se vendent jusqu'à 200 000 F), fonde sa gloire sur sa capacité à endosser les peurs du temps. La mort au XXIe siècle exige ses effaceurs sociaux et ses embaumeurs scientifiques, et pendant ce temps Witkin hante les morgues du Mexique, s'acharne à faire asseoir un homme sans tête mais avec chaussettes, organise un baiser entre les deux faces d'un visage tranché par le milieu, ou demande à un modèle d'allaiter un foetus mort. La beauté au XXIe siècle réclame ses ravaleurs de façade et ses liposuceurs d'anormalité, et pendant ce temps Witkin ouvre le loquet du cabinet des horreurs, se jette au cou des trop gros, des presque morts, des non-conformes, constituant une cour des miracles affective où la flétrissure des chairs devient blason, où le difforme devient la norme.

Là, on est à Paris, un matin crème, et JPW qui y expose, est ravi. On lui a présenté une jeune fille rousse qui dispose d'une «magnifique scoliose, on dirait les courbes d'une rivière» et qui accepte de poser. Il lâche le sempiternel «I'm so excited» des Américains et rembraye sur un torrentueux discours, mystique et déconnant, verbeux et délirant, où s'agglomèrent des bribes de biographie réinventées, des filaments de rêves surinterprétés, et des moellons d'esthétique religieuse. Il jongle pêle-mêle avec son abstinence sexuelle du moment qui transformerait son sperme «en poussière blanche» ou avec un songe

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