Cher Enrico. Il se voyait cheikh (le maître). Deux mots qui chantent pareil, d’un côté à l’autre de la Méditerranée. ll partait «embrasser la terre de Constantine», réconcilier juifs et Arabes, pieds-noirs et Algériens, enfants de tous pays, la musique pour sésame. Retour au pays, retour au malouf, musique judéo-arabe, symbole de ses passions. Sa valise était prête. Et sinon le cercueil, c’est encore des orages qu’on lui a prédits en Algérie. Sa tournée a été «reportée». «Pour raisons techniques», clame Enrico dimanche sur les plateaux de télévision, palpitant encore d’un Olympia triomphal : «Mon retour est irréversible. Chez nous, les Algériens, quand on donne une parole, on ne la change pas.» En coulisse, c’est le petit «Gaston» qu’on récupère : «Il fait le beau, le fort, mais il est déchiré, désemparé par la complexité de cette affaire, dit un ami, il avait mis un espoir trop fou dans son retour.» Un espoir mûri trente-huit ans, de «poï poï poï» en «laï laï laï» ensoleillés.
Pourquoi, comment ? «J’ai tout dit dans mes chansons», s’impatiente le chanteur, un cigare Cohiba dans une main, un portable dans l’autre. Quarante ans qu’Enrico «kiffe» à l’amour, l’enfance, la paix. «Il est d’une insondable naïveté, dit Raphaël Draï, juif de Constantine et professeur à la faculté de droit d’Aix-en-Provence, et c’est sa force. Sa gaieté, sa pulsion de vie, ont sauvé toute une génération du reniement. A sa manière, il nous a permis de tenir les deux bouts de la