Même quand il s'offre un bon restaurant avec des amis, il fait un rapport. Simple commentaire de gourmet pour guide étoilé, certes. Mais un rapport. Il se dit touché par la luxure gastronomique. Sorti de table, il fait plutôt dans la ripaille policière. Il a collé sur sa porte un «AB Associate» (AB comme Alain Bauer, la suite pour faire chic, mondial et efficace), a niché son petit bureau au bout d'un couloir à la Défense, vend très cher du kit sécuritaire à des maires apeurés, revendique neuf salariés invisibles, c'est même toujours lui qui décroche le téléphone. Il y distille ses réponses elliptiques, soupirs et sourires entendus de celui qui sait. Cet homme avait donc de quoi séduire la plus importante obédience franc-maçonne de France: le Grand Orient l'a fait Grand Maître, voilà huit jours. Il le fait savoir: «Je suis pour l'abolition du secret.» De celui-là. Il en reste d'autres.
Lumière, donc: Alain Bauer accède à 38 ans, autant dire par voie express, à la béatification franc-maçonne. Cela en fait-il l'un des hommes les plus influents de la République? Il dit non avec la tête, mais il dit oui de tout son être. Il sait que les frères ont depuis belle lurette perdu de leur prestige, cette longueur d'avance sur le chemin escarpé des idées qui faisait d'eux des coursiers de l'utopie, pour n'être plus qu'un syndic des puissants, et sombrer, parfois, dans le bain de l'affairisme. «En 1981, on a cru que c'était arrivé, que c'était le grand soir du programme maçonnique. Aujour