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Libération
Portrait

Il attend les fantômes.

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publié le 28 novembre 2000 à 7h12

Un homme en noir marche dans la nuit. Son pas est hésitant, mais son oeil est vif. Cheveux corbeau, regard corbeau, démarche corbeau. Dans le noir, on ne voit pas le petit Leica qu'il porte autour du cou. Il attend le chaland, le personnage qui rendra nette une photo floue, comme un renard céleste. Au pays de Dityvon, l'un des derniers artistes d'un art qui n'en est pas un, la photographie, les corbeaux attendent les renards au coin de la rue. Ils tentent de leur voler cette âme que d'autres prennent bêtement pour un camembert. Drôle de jeu. Dityvon ne mitraille pas, il attend patiemment que la photo vienne à lui. Il attend les fantômes.

La photographie, disait-on, n'est pas un art. Des photos, pour commencer, il y en a trop. Tellement belles qu'on ne sait plus lesquelles sont les meilleures. Des grands photographes, au contraire, il y en a de moins en moins. Il est plus facile, beaucoup plus facile, de réussir une photo que d'être un grand photographe. Le propre de la photographie, c'est que n'importe qui peut en réussir une, même une superbe, même une sublime. Cet art qui n'en est pas un, pas plus que le cinéma, d'ailleurs, trouve son essence dans l'anonymat, la non-signature. Le contre-sens qui pousse le moindre aspirant photographe à vouloir à tout prix griffer le moindre de ses clichés explique que les grands photographes se font rares. Dityvon, on le disait, est un grand photographe. Depuis sa couverture hagarde, réaliste, poétique des jours et des nuits d'émeutes et d'