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Portrait

Le navet va

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Alain Passard, 46 ans. Cuisinier au firmament des trois-étoiles, il a converti ses tables à la religion du tout-légume.
publié le 20 février 2001 à 23h04
(mis à jour le 20 février 2001 à 23h04)

Il marinait en lassitude, cette rançon de la gloire qui sape la créativité et endort l'envie. Les soirs de mélancolie, il ne venait plus au restaurant. Il restait à écouter John Coltrane, en regardant le fleuve bouillonner aux hublots de sa péniche. Alain Passard laissait sa «brigade» partir à vau-l'eau et battre tambour à sa guise («Marre de ne plus avoir qu'à faire le flic»). Il ne trouvait plus d'accords sur son «piano» et aurait bien fait du bris de vaisselle de ses quarante couverts huppés, entre hôtel Matignon et dôme des Invalides. Trois étoiles Michelin, 19 sur 20 au Gault et Millau, son rond de serviette à la table des innovants: les Bras, Gagnaire, Veyrat, une réputation de Prométhée des rôtisseurs, de Vulcain des volailles. Et pourtant cet ennui, comme une fuite en sous-sol, comme un impossible comblement d'actif...

Il se souvient: «J'attendais quelque chose, je savais que cela allait arriver.» Il avait «le sentiment d'être en butée». Il voulait «d'un coup de dés, tout remettre sur le tapis». Et les légumes vinrent! Illumination quasi rimbaldienne, hosanna de celui dont le frère a choisi la prêtrise. Accélérateurs circonstanciels, la «vache folle» et l'angoisse bio avaient bon dos. Ce que cherchait Passard, c'était une remise en cause personnelle, «une révélation au fond du sautoir», incarnée désormais par des oignons translucides, des carottes des sables ou des betteraves de pleine terre.

Même s'il se retrouve à capitaliser sur les anxiétés carnivores, ce parachuti