Doucement, l'homme se penche, approche son visage des cheveux de la femme. Ils restent immobiles, leurs ombres parallèles aux rinceaux de la balustrade. Lentement, le photographe arme, déclenche et dévale quatre à quatre l'escalier de la colonne de la Bastille. C'est un bel après-midi de l'hiver 1957, il serre contre sa poitrine l'instant volé, bien au chaud dans le boîtier. Il sourit.
On ne grimpe plus à la colonne du génie, les amoureux de la Bastille ont fait le tour du monde en poster, et Willy Ronis, 90 ans, pose à leurs côtés les yeux brillants. Il en a retrouvé 25, non, 26, il les compte et les chérit, ses Riton, Marinette, Gaston ou Rose, images dérobées puis reconquises, bonheurs éclairs qui l'invitent à nouveau, lui, le photographe, à entrer dans le cadre. «Un tel amour des personnages, ça n'existe chez aucun autre, commente son ami l'écrivain Didier Daeninckx. Il est à côté d'eux, pas en face.» On l'a appelé photographe humaniste, classé au rayon nostalgie-émotion, comparé à Doisneau, confondu les crédits. Certes, son titi parisien a la mine gaillarde, ses paysannes hollandaises, la joue ronde et avenante, mais «aucune photo de Willy ne se résume à une anecdote», dit l'ami écrivain. «Il y a chez lui une gravité, un sentiment poignant qui n'a rien à voir avec le folklore», confirme le galeriste Didier Brousse.
Assis à une table couverte de clichés, le photographe prépare une énième exposition, recollant les légendes, corrigeant les listings. Depuis que musées et gale