On croyait qu'il dessinait des bulles. Erreur, c'était des boules. Dans le tome 4 de la Rubrique-à-Brac, publié en 1971, Gotlib racontait comment, une nuit, un boulet avait poussé à son pied gauche, qu'il était allé voir le docteur qui lui avait demandé de dire «33», qu'il avait dû apprendre à vivre avec et que seule sa fille Ariane, petit bébé de quelques jours, avait pu l'en délivrer, avant qu'il ne repousse. Ce récit s'appelait la Boule et était «vachement lourdement symbolique», dirait-il aujourd'hui, du poids de la vie. Il était aussi vachement symbolique du degré d'humour et d'émotion mêlés, inégalé depuis, auquel Gotlib avait porté sa Rubrique-à-Brac. Trente ans plus tard, il n'a pas changé. Il demeure inquiet, souffrant, malheureux. A une différence près: boules et bulles, il a cessé de les dessiner.
De 1965 à 1975, la bande dessinée française a connu sa décade prodigieuse. Gotlib en est l'un des phares. Sous la houlette de René Goscinny, père d'Astérix et de l'hebdomadaire Pilote, il développe une forme d'humour jusqu'alors pratiquement inédite en France: le second degré. Il impose à une génération d'improbables héros. La coccinelle et ses commentaires en bas de case. Superdupont. Isaac Newton. Et surtout lui-même: nez écrasé, lunettes carrées, pattes sur les tempes, large menton. «Ça a été la période la plus heureuse... Heureuse, ce n'est peut-être pas le mot. Je ne trouve pas l'adjectif.» En 1972, il rompt avec la BD pour enfants et lance, avec Claire Bretécher et