Longtemps, les podiums de la mode masculine ont vu défiler des bataillons de bellâtres déguisés en Antoine Pinay et des colonnes d'Apollon bodybuildés réinterprétant les tubes de l'iconographie gay. C'est dans ce contexte aussi soporifique que foncièrement anachronique qu'un matin du siècle dernier, sous le label Yves Saint Laurent, un parfait inconnu s'est fait remarquer en montrant, dans un silence glacé, de minces éphèbes gainés dans des costumes subitement bien de leur âge. La planète mode apprend vite à retenir le nom du Français Hedi Slimane, qui, en quelques collections, compose une garde-robe en phase avec l'homme du millenium, capable d'assumer virilité et fragilité.
Parfaitement à l'aise avec l'essence YSL, il se contente (mais fallait-il en avoir l'idée) d'en modifier la substance: tirant parti des manipulations quasi génétiques qui permirent à Saint Laurent, dans les années 60, d'adapter au vestiaire féminin les pièces emblématiques du dressing masculin, le créateur né en 1968 se fait le héraut d'une androgynie cool, qui va comme un gant à une génération grandie à l'école mixte, pas pressée d'établir des frontières nettes entre le masculin et le féminin, et de se définir en fonction d'une sexualité. Le point de vue séduit Brad Pitt ou Madonna, clients lui assurant une vraie cote auprès de la presse américaine qui voit en lui le dépositaire d'une «french touch» mêlant savoir-faire séculaire (Paris, berceau de la couture) et fantaisie subversive (le sous-texte Sodom