Gilbert Bécaud est assis par terre. Un whisky, une cigarette, quel ques souvenirs à contrecoeur. Les yeux du plus grand crooner français font des bonds de Pierrot. Il en a vu d'autres, Bécaud. Ses yeux pétillent de malice, de jeunesse. Il a 73 ans, l'âge de Nathalie, celle qui avait un si joli prénom que les Russes en ont fait une héroïne nationale. S'il était prétentieux, il dirait comme Flaubert: «Nathalie, c'est moi.» Gilbert Bécaud se contente de dire qu'elle n'existe pas. «Elle a existé, oui, mais après. A ma descente d'avion, à Moscou, une jolie fille m'attendait. Quand je lui ai demandé comment elle s'appelait, elle m'a dit Nathalie. Elle était mignonne comme tout, ils l'avaient bien choisie.»
En ce moment, Gilbert Bécaud attend l'inspiration. Elle vient toujours. Celui qui a écrit What Now My Love/Et maintenant et surtout Let It Be Me/Je t'appartiens, ces mélodies entêtantes dont les Américains, des Everly Brothers à Frank Sinatra, ont fait des standards, des rengaines pour l'éternité, sait juste que pour son prochain disque, c'est Quincy Jones qui sera aux manettes. «Quincy, je le connais depuis vingt, trente ans, c'est un ami.» Pas de fausse modestie, juste cette lueur espiègle dans le regard: le Pierrot danse en pensant à son prochain maquillage de scène. Il y a trois ans, Bécaud faisait la réouverture de l'Olympia, sa salle fétiche. On retrouvait son dynamisme, sa pêche invraisemblable après cinquante ans de carrière. Impossible de deviner qu'il souffrait le marty