La première chose qui frappe quand on rencontre Sabriye Tenberken, c'est son regard. Vous a-t-on déjà fixé avec autant d'intensité, de manière aussi troublante? Ce regard qui dit tout est celui d'une aveugle hors du commun, dont on peut se demander ce qu'elle aurait fait de sa vie si elle n'avait pas eu ce handicap à surmonter: il a été la source d'une énergie stupéfiante. La vie courte, elle vient d'avoir 31 ans... de Sabriye a des allures de conte de fées. Elle démarre mal: la jeune Allemande devient aveugle à l'âge de 12 ans, alors que, jusque-là, malgré une mauvaise vision, elle pouvait faire du vélo et mener une vie presque normale. Elle aurait pu devenir une handicapée passive et assistée; elle est devenue une aventurière au bon sens du terme, un exemple social et humain qui a mis la barre si haut qu'elle en rendrait honteux tous les voyants qui en font cent fois moins qu'elle. Et, pour compléter le tableau du conte de fées, précisons que cette jeune femme, jolie de surcroît, a choisi pour terrain d'action le «toit du monde», le Tibet.
C'est au fond d'une ruelle du centre de Lhassa, la capitale du Tibet occupé par la Chine depuis un demi-siècle, que Sabriye Tenberken et son compagnon néerlandais, Paul Kronenberg, ont ouvert la première école pour enfants aveugles du territoire. Une grande maison en chantier perpétuel qui accueille plus d'une vingtaine d'enfants tibétains frappés d'un mal que dans leurs villages on considérait comme une malédiction: la cécité. Un lie