Madame Azni ne parle pas français. Pour le mot harki, elle se passe la main sur le cou, comme un couteau qui égorge. Puis elle envoie un regard noir à son fils aîné, de sous son foulard kabyle chatoyant. L'histoire maudite des harkis, quarante ans après, ce serait bien qu'il en finisse. Mais Boussad n'en sort pas. En costume cravate du matin au soir, président par ci, délégué par là, gréviste de la faim un jour, reçu à l'Elysée un autre. «C'est la génération perdue, dit Boussad Azni, ils mourront sans comprendre.»
Le fils de Slimane Azni, rescapé des massacres réservés aux «supplétifs» d'Algérie, ne comprend pas tout lui non plus. Parfois la nuit, il se réveille en sursaut, l'oreiller trempé de larmes. «Pourquoi? Pourquoi, quarante ans après, en sommes-nous encore à quémander la simple reconnaissance de ce qu'ont fait nos parents?» A 16 ans, il a réalisé quelle était la place des enfants de harkis: «Les Français nous traitaient de bougnoules, et les Arabes de traîtres.» La littérature administrative évoquait les Rona (rapatriés d'origine nord-africaine), puis les FMR (Français musulmans rapatriés). Ni Français ni Arabes, ils étaient parqués depuis 1962. Boussad Azni a grandi au Cara (centre d'accueil des rapatriés d'Algérie) de Bias (Lot-et-Garonne). On disait «le camp» pour cet enclos de barbelés perdu dans les vergers du côté de Sainte-Livrade, et dirigé par un ancien officier de l'armée coloniale.
Chaque matin, chaque soir, le drapeau tricolore était hissé au son du clairon