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Libération
Portrait

Bleus de Chine.

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publié le 9 février 2002 à 22h08

Elle refait le geste. Elle n'a pas voulu faire mal. «J'ai fait comme ça. J'ai touché, sans taper.» Sing-Sing a le mouvement de l'actrice et des remords de jeune fille. 1966, un jour parmi d'autres de la Révolution culturelle chinoise. Dans la cour de l'université de Pékin, c'est au tour de la professeure de littérature de monter sur la table. On lui retient les bras en arrière. «L'avion.» On lui met de l'encre noire sur le visage, on lui rase la moitié des cheveux. La foule des étudiants fond sur elle, la main levée. Sing-Sing aime Dostoïevski, Hugo, Maupassant, Molière, Shakespeare. A 9 ans, elle a récité Pouchkine et remporté le concours de poésie, mais il faut frapper. Un dazibao l'a dénoncée : «Sing-Sing graine noire», l'a dessinée nattes au vent avec ce commentaire : «Elle écoute les professeurs, elle doit dénoncer les professeurs.» Sing-Sing doit frapper : «Les gens me regardent, si je ne fais rien, je suis mauvaise.» Elle refait le geste. N'a pas frappé, juste effleuré. Et trahi son rêve. Il sera rouge désormais.

Rêve rouge. Acte premier de sa vie, qu'elle interprète quasi confidentiellement le dimanche après-midi dans la discrète maison de thé du jardin d'Acclimatation. Sing-Sing a 53 ans aujourd'hui, et un prénom qui veut dire étoile. Elle rit beaucoup, semble libérer les gloussements que, petite fille, elle a toujours réprimés. Dix années d'exil n'ont pas suffi à purger des émotions enfouies. Alors Sing-Sing les recueille, les écrit puis les joue, penchée sur elle-m