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Libération
Portrait

Livre échange

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publié le 22 juin 2002 à 0h02

C'est un jour de grand soleil que le château fut acheté. Il a fallu bien des avances sur des livres qu'il n'avait pas encore écrits et qui, de toute façon, se vendraient peu. C'était l'année 1963 et Robbe-Grillet, déjà, promettait. Lui : «Je voulais la campagne.» Elle : «Mais pas une fermette !» Lui : «Donc, un château !» Elle : «J'ai toujours eu des goûts de grandeur !»

Alain et Catherine Robbe-Grillet ont l'air de parfaits petits châtelains normands sur les marches du perron, rabotées par les siècles, les robes de petite noblesse et les bottes allemandes qui réquisitionnèrent cette bâtisse tout près de Caen. Elle a les cheveux gris retenus en chignon, la jupe bleu marine en dessous du genou, le chemisier blanc impeccable, comme si le temps n'avait rien changé de sa garde-robe de jeune fille élevée parmi les crucifix de Notre-Dame de Sion. Il porte beau sa barbe poivre et sel de brigand en chaussons. Elle : «On est des privilégiés.» Lui : «Deux enfants de pauvres, qui ont écrit des livres dont personne ne voulait au départ.»

Parfois il s'éclipse, enfile ses bottes, s'en va jusqu'à la serre voir si les cactées n'ont pas trop chaud. Elle vante les charmes de la demeure, en profite pour faire visiter sa partie à elle. On accède à la chambre secrète par un escalier raide. Sous les combles, il y a du papier peint à fleurs. Sur les poutres, suspendues à des petits clous, menottes, cordes, et couronne d'épine. Là, le sabre du grand-père. Là, une canne fouet, vieil accessoire d'un de