Quand il appelle, la première fois, Trino Diaz ne raconte rien de plus qu'une mauvaise manière de l'Education nationale : envoyé au front deux années de suite comme maître auxiliaire dans des établissements difficiles ; jeté après usage, sans autre forme d'explication, par l'institution. Indifférence tristement banale. Des milliers de précaires du savoir l'éprouvent chaque année, surtout en cette saison, quand les affectations pour la rentrée tardent à arriver ou menacent d'être supprimées, quand les résultats des concours de recrutement tombent. Mais le récit de Trino résonne étrangement. Les mots d'abord ceux de la passion blessée. Le ton ensuite celui de l'élégie. Les minutes passent et on comprend qu'il ne raconte pas un échec professionnel et social mais un amour déçu. Celui de la France et de sa culture. Et que cet amour est né d'un rêve inextinguible.
Pour le raconter, ce rêve, Trino apporte des photos et le livre qu'il relit en ce moment. Sur les photos, l'enfant qu'il fut. Arrière-plan : tôle ondulée et canapés défoncés ; un bidonville à Caracas, Venezuela, dans les années 60. Chez lui, dit-il, pas de livres, mais une radio qui passe Juliette Gréco et Georges Moustaki. Et des parents (lui : chauffeur de taxi ; elle : femme de ménage) qui lui parlent de la France. Trino a une dizaine d'années. Ses copains regardent au nord, vers l'Amérique. Lui se projette à l'est, vers la France, «pays de droit et de culture», dit-il avec emphase mais sans affectation : c'est pou