Sur la place carrée du Louvre, un soir d'été, il arrive, Milou à ses côtés, comme entouré d'un halo dans l'orangé de la nuit, presque irréel. Pourtant, c'est bien lui, en jean et chemise bleu nuit, banal et apprêté à la fois, le fameux Tintin qu'on suit de 7 à 77 ans, qui a bercé nos enfances, chahuté nos adolescences et réveillé, parfois, nos rêves d'adultes assoupis.
Il s'excuserait presque de cette liberté de papier, craint qu'elle ne paraisse trop arrogante. «Pour moi, c'est facile. Un intérêt limité dans les affaires du monde, peu de contingences et pas d'attaches, sauf quelques amis, que vous connaissez.» Son visage, aussi lisse que les milliers de cases habitées au fil des ans, sa silhouette, fluette et nerveuse, voilà ce qui signe son succès autant que sa tranquillité. «En Syldavie, où j'habite désormais, on me fiche une paix royale.» Et qu'il traîne à San Francisco ou crapahute en Corse, personne ne remarque la houppette dressée, ni le fox-terrier à ses pieds.
Transparent ? L'un de ses meilleurs spécialistes, Benoît Peeters, va encore plus loin (1) : «Tintin n'est rien, il n'a pas d'âge véritable, ne paraît pas sexué non plus. Personnage neutre, il remplit à merveille le rôle essentiel du héros : celui d'être un parfait support à l'identification du lecteur.» Le héros en question éclate d'un grand rire, décidé à se moquer de ses exégètes par milliers. «J'ai renoncé à lire ce qu'on écrit sur moi. Que savent-ils, ces gens, de mes angoisses, de mes doutes et de mes rêves