Il y a des sujets qui vous coupent la faim. Sans doute l'évocation de sa propre jeunesse révolutionnaire en est un. Nicolas Hatzfeld parle d'une voix douce, qui semble avoir épuisé le droit à l'emportement. Il parle d'une époque où il était moustachu, vivait pour la révolution, portait «un blouson d'ouvrier en cuir» que lui avait offert son beau-père. La fourchette gît dans l'huile des tomates. Quasiment pas touchées. Il a un mélange d'entrain et de méfiance à répondre aux questions qui nous intéressent : la révolution, les chaînes de Peugeot où il a passé une partie de sa vie. On lui demande : qu'est-ce qui a changé dans les usines ? Que fait-on des cendres froides des mirages de sa jeunesse ?
Hatzfeld a passé quatre ans comme ouvrier établi à Peugeot-Sochaux, entre 1971 et 1975. Il y est retourné, vingt ans plus tard, comme chercheur. Il a insisté pour «reprendre» sa place. Sur la chaîne. C'était en 1996. A la direction de Peugeot il n'avait rien dit de son expérience passée , le respectable historien de l'automobile qu'il est devenu avait prétexté : «Je viens faire une étude sur les motivations des employés.» Ça le fait rire aujourd'hui, comme une farce d'adolescent : «ça ne veut rien dire, la motivation des employés. Je voulais revenir, voilà tout.» Il a donc occupé six semaines «un poste normal. Une plaque de tôle à poser, un caoutchouc, la biellette anticouple, une durite. Le tout, côté droit. Un autre employé faisait pareil côté gauche. Les voitures passaient toutes