Il y a toujours une mauvaise raison d'évoquer un bon éditeur. L'éditeur, c'est Eric Naulleau, 42 ans, directeur d'une excellente petite maison dévouée depuis dix ans à la littérature des pays de l'Est : l'Esprit des péninsules. La raison, c'est un petit livre féroce et superficiel qu'il a écrit, en compagnie de Pierre Jourde : Petit Déjeuner chez Tyrannie. Ce pamphlet à deux textes s'attaque au supplément littéraire du journal le Monde, ridiculise sa rédactrice en chef et dénonce un circuit d'auteurs au couvert mis, dont Philippe Sollers. L'ouvrage s'est vendu à 6 000 exemplaires. Il émeut la «cancanie» littéraire.
Autant le second texte, de Jourde, souffre d'une pesante aigreur, autant celui de Naulleau sonne juste. Ferme, trapu, doué d'un humour en paradoxes, l'éditeur est un toucan pince-sans-rire dont le vol a, par hasard, croisé un univers qu'il ignorait : les gendelettres de Paris. Son texte conte, entre autres, un déjeuner qui l'opposa aux hiérarques du Monde des livres. Ceux-ci lui reprochaient d'avoir publié, quelques mois plus tôt, la Littérature sans estomac, du même Jourde. L'auteur y décortiquait sans tendresse la prose de quelques crustacés célèbres, Angot, Rolin, Beigbeder, Darrieussecq... et Sollers. Le livre eut du succès. La haine enfla. Jourde et Naulleau furent traités de machistes haineux, de poujadistes. Agacé et curieux, Naulleau demanda à voir la responsable du Monde des livres. Elle l'invita à déjeuner. Mais à table, face à lui, ils étaient trois : la