Osons l'éloge. Marcel Gauchet est l'un des penseurs français les plus importants de sa génération. A l'approche de la soixantaine, il incarne ce que l'héritage intellectuel de Mai 68 a produit de meilleur. Mais ne craignons pourtant pas la «prise de tête», comme on ne dit plus guère, car il est d'abord un bon gars sympa, au rire facile et à l'allure de paysan normand, qui reçoit sans façon dans son petit bureau de chez Gallimard.
Sa pensée, il vient de la résumer dans un livre d'entretiens (1). C'est celle d'un «démocrate conséquent» qui réfléchit autant à la politique qu'à la religion ou à la psychiatrie. Un héritier paradoxal de Tocqueville, venu de l'ultragauche et qui se revendique toujours «socialiste», mais qui a pris en grippe «la connerie gauchiste». Une position qui lui valut l'an passé d'être traité de «nouveau réactionnaire» par le pamphlétaire Daniel Lindenberg. La polémique retombée, celui-ci reconnaît à demi mots y être allé un peu fort. Gauchet en fut touché. On l'accusait, en somme, d'être passé à droite en se ralliant au «libéralisme». Il s'explique : «Il y a un fait libéral qui constitue l'une des articulations de nos sociétés : les libertés publiques et l'indépendance de la société civile. De ce point de vue, tous les non-totalitaires sont des libéraux. Même Krivine a des faiblesses de ce côté-là...» Mais, poursuit-il, «le vrai partage entre la gauche et la droite se fait sur la question de la justice sociale. Or je continue à croire que l'on peut changer l