Au feu rouge, dans sa voiture «tartempion» dont il a gratté la marque au couteau, Yvan Gradis ferme les yeux. Pour un «publiphobe», un carrefour hérissé de sucettes et de panneaux mobiles, invariablement piégé d'invitations au plus célèbre «prêt-à-manger» américain, ressemble à l'enfer. Yvan Gradis baisse les paupières et attend les coups d'avertisseur pour redémarrer. Au supermarché, il retourne les sacs pour les rendre anonymes. Pendant les pubs au cinéma, il dévisage son voisin jusqu'à attirer son attention. Chez ses parents, il arrache les étiquettes, coupe la télé, cache les journaux. Périodiquement, il s'arme d'une bombe de peinture et s'en va «barbouiller» une blonde qui le vaut bien. Vingt ans de combat quotidien : «La vie d'un publiphobe relève d'un art martial», explique ce pionnier, un peu débordé par les récents commandos antipub du métro parisien. «Il a inventé le barbouillage, c'est un historique qui a ouvert la voie, dit un jeune du collectif Stopub. Mais il joue perso. Pas nous.»
L'habit de commandeur taillé par ces «tagueurs juvéniles» lui convient. «Je ne suis pas jaloux de ces actions que j'ai pourtant inspirées. Mais je ne participe pas. J'ai fait un sans-faute avec mes propres barbouillages et ne voudrais pas compromettre ma réussite personnelle.» Autour d'un café soluble, dans son appartement de célibataire à Boulogne où rien n'a bougé depuis dix-sept ans, Yvan Gradis s'écoute parler. Ou plutôt il chante, avec un accent vieille France, dans une langue en