La tomate iceberg, juchée sur son cylindre de glace, tombe dans une eau tiède d'herbes potagères semée de pavots en fleur. Thierry Marx est un chef révolutionnaire, militant du réchauffement et de l'engloutissement de la planète Gastronomie. «Ce mot me dégoûte, dit-il. Je vois un gros gastéropode baveux qui se traîne.» Chez cet adepte d'écumes, de fumets et de quintessence, le saucisson est «virtuel». Le pavé de blonde d'Aquitaine est empaqueté de papier cristal. Les assiettes, bulles de verre soufflé, sont invisibles. Il déteste les odeurs de viande cuite, la sauce qui tache et le sacro-saint terroir au relent «pétainiste». Mais les escargots, bourguignonne ou bordelaise ? Thierry Marx est végétarien. Depuis sept ans, il tient les cuisines du Château Cordeillan Bages, à Pauillac, Médoc. Les mauvais jours, il trouve que les vignes ressemblent à un immense cimetière militaire. Alors il part courir ou s'entraîner sur un tatami. L'an prochain, ce chef à tête de samouraï s'est promis de décrocher sa troisième étoile Michelin et de passer cinquième dan en judo.
Des morts, il en a trop vu. Au Liban, pendant la guerre. Il avait dix-huit ans et s'était engagé, para dans l'infanterie de marine. Il se souvient de la peur, et d'un homme qui cuisait des falafels sur un bidon de fuel dans les ruines. Il dit que l'héroïsme n'existe pas, sinon à faire la cuisine entre les bombes. Récemment, il a promis à son équipe : «Quand on touche la troisième étoile, j'ouvre un kebab.» Un très bon, pas