Il est maire et pédiatre à Clichy-sous-Bois. Et d'où qu'il regarde, la vue est la même. Les deux petites colonnes autour de la porte de la mairie semblent soutenir tant bien que mal une bâtisse ancienne, rongée par l'impuissance et la noirceur des cités environnantes. La salle d'attente de son cabinet, qu'il installa il y a vingt-six ans à bac + 11 dans le quartier la Pelouse, bruisse de nouveaux pleurs. «Il y a une pathologie comportementale du nourrisson liée aux graves difficultés de logement que rencontrent les familles entassées. Je vois des mères fatiguées et dépressives, je vois des enfants de plus en plus nerveux. Je les repère tout de suite.»
«Alertez les bébés», prévenaient chanson, film et slogans de la fin des années 70. En ce temps-là, Claude Dilain surveillait la politique, gorgée de mots et d'utopies, depuis son cabinet tout neuf de Clichy-sous-Bois, mais il ne s'en mêlait pas. Il avait fait 68, première année de médecine, PSU tendance Rocard. Il s'était engueulé avec son père, modeste employé EDF-GDF, pas porté sur la politique. Bouillait en lui le sang chaud du grand-père paternel jamais connu, mais ombre tutélaire, un éboueur anarcho-syndicaliste qui prit un coup de sabre lors d'une manifestation violente de l'avant-guerre et mourut peu de temps après d'une pneumonie, celui aussi de sa grand-mère, gardienne de la Bourse du travail. Ces aïeux avaient laissé une impressionnante bibliothèque nourrie de littérature et de philosophie militante qui commençait avec