On croise sa réputation avant d'avoir rendez-vous avec lui. Elle est grande et sombre, comme les ombres des statues. Elle vous raconte des expositions mémorables, encyclopédiques et construites comme des thèses, la dernière était «Mélancolie» et ses longues files d'attente. Et puis elle vous prévient : il a mal tourné, le gardien des trésors. Le conservateur est si conservateur qu'il a bâti un jour, brutalement, une frontière entre hier et aujourd'hui. Il serait réactionnaire. Certains ne lui serrent plus la main.
On croise aussi ses livres à la sortie des musées. Certains sont tout petits, minces et bleu pâle. Ils n'ont l'air de rien, mais sont gorgés de phrases belles et assassines. Il a le talent de l'écriture qu'ont rarement les gens savants. Il a des provocations salutaires, d'autres chargées de trop de ressentiment. Il s'est fait messager du déclin, procureur de l'art contemporain qu'il a naguère défendu. Il crache sur les modes, les modernes et leur consensus, peut trouver belle l'Iranienne voilée, et dangereuse la banalisation de l'avortement. On dirait qu'il cherche le mot de trop, la vindicte d'une époque qu'il n'aime pas et qui pourtant l'a verni. «Autrefois, j'étais abattu. Maintenant, de plus en plus souvent, j'éclate de fureur. Signe des temps. Les bonnes raisons ne manquent pas. Ce qui me laisse chaque fois pantois, c'est la violence de mes propos», écrit-il.
On croisait cette phrase au dernier mur de l'expo «Mélancolie» : «Comme un chrétien se prépare à la mort