Les bottes en caoutchouc, le tablier, la charlotte : tout est couleur de lait, dans l'atelier de Jean-Yves Bordier. Pile comme dans Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe, où Woody Allen joue le rôle d'un spermatozoïde. A Noyal-sur-Vilaine, seuls les packs de beurre formatés par les hygiénistes de Bruxelles, nickel cubes de 25 kilos enveloppés de plastique bleu Europe, font tâche. Dans son costume de chevalier blanc, Bordier boxe le beurre à coups de baffe élastique, en l'éjectant sur un malaxeur en teck, total bras d'honneur aux normes industrielles et sociales. La machine, il n'en existe qu'une au monde, elle est de son invention. Puis il sale à la volée avec du sel fin et castagne de nouveau. On lui a suggéré d'utiliser du sel de Guérande, et même du sel du Cachemire : il trouve ça crétin, la mode pour la mode, dans le quartier, on a toujours salé avec le sel fin ramassé dans la baie du Mont-Saint-Michel.
A force de claques dans le beignet, le sel entre dans le beurre. La matière grasse, face à l'attaque de sel, se protège en crachant son eau. Petit bruit coquin de succion. «Mon beurre chante, il est vivant», dit Bordier, les yeux en billes de loto, joyeux comme un secouriste du Samu qui vient de réanimer un noyé sur la plage de Paramé. Demain matin, le butter breton volant prendra la route de Roissy, à midi il grimpera dans le vol de Tokyo, après-demain un yakusa en étalera un fin film sur une lichette, à Ginza. Une ima