Un jour de juillet 1972, un Français barbu pourvu d'un léger bagage est attendu à la descente de l'avion Paris-Moscou par deux hommes en gabardine. «Professeur Lacoste ?» demande l'un. «Oui», répond le passager. «Suivez-nous !» ordonnent les deux Soviétiques. Un moment plus tard l'universitaire français se retrouvait, soulagé, dans une salle remplie d'Indochinois. Son voyage incertain vers Hanoi allait pouvoir toucher au but.
Peu de temps auparavant, en plein conflit au Vietnam, Yves Lacoste avait écrit un article sur les digues du fleuve rouge. «J'ai reçu un coup de téléphone : "Il faut que vous veniez à Hanoi, vite."» Mais comment obtenir visa et billets ? A Paris, l'ambassade d'URSS (pays de transit pour rejoindre le Vietnam du Nord) était fermée, l'agence Aéroflot, aussi. Finalement un employé de la compagnie soviétique lui ouvrira la porte et lui tendra un billet.
«Je ne sais toujours pas qui m'a demandé de venir et qui a payé mon voyage», ironise trente-quatre ans plus tard le professeur devenu septuagénaire. Yeux plissés, avec force détails, il raconte ce haut fait de sa vie mouvementée de géographe, tout en beurrant des tartines, dans la cuisine de sa maison de campagne.
Après ce séjour en pays bombardé, Yves Lacoste écrivit dans le Monde un article qui fit sensation. Le chercheur prouvait que les Américains avaient torpillé les soubassements alluviaux des digues du fleuve Rouge. Sur les photos aériennes, rien n'apparaissait, Wa