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Libération
Portrait

Enjeux de mots

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publié le 26 septembre 2006 à 23h26

Au premier jour, il était tranquille. Quarante ans de Robert, ça vous apprend que chacun tire le dictionnaire à soi. Au deuxième, il était furieux. La presse répandait l'affaire. «Il y a un contresens gigantesque sur les mots et ça me revient à la gueule.» Au troisième, il était peiné. Mauvais tour du destin. En face du mot «colonisation», il y a parmi les définitions du dictionnaire un éclairage économique : «Mise en valeur, exploitation des pays devenus colonies.» Pour lui c'est clair, comme «ressources humaines» sur la porte du DRH de l'entreprise veut dire «on vous exploite». Mais des associations antiracistes l'ont suspecté de relayer le débat sur les vertus de l'empire français. Ce vaste empire, pourtant, l'a poussé vers les mots, comme on court sous les jupons de sa mère, laquelle chez lui est une figure fragile qui racontait des histoires à la nuit tombante.

Oublions un instant ses longs cheveux blancs, ses lunettes noires, sa moustache, ses cravates bariolées de vieux monsieur collectionneur et sa science des mots. Il a un peu plus de 20 ans. Il fait son service militaire, il est tirailleur tunisien, il porte une chéchia. Ils sont deux diplômés dans les rangs, lui a khâgne, Sciences-Po et la Sorbonne derrière, l'autre est géologue, on les appelle donc «les géologues». Les colons suintent le mépris, les officiers de Saint-Cyr, l'arrogance et «le racisme non avoué», la population balance des pierres sur le cortège des soldats au pas.

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